Henri Cueco, né en 1929, est l’un des peintres de la Figuration critique. Une rétrospective à Meymac, une exposition à Paris, un ouvrage consacré à ses dessins permettent de prendre la mesure de son oeuvre et de sa place sur la scène artistique française.
Cueco est de ce type d’artiste que l’on classe dans la catégorie des peintres alors qu’il appartient à la famille d’artistes polyphoniques, aussi bien écrivain qu’orateur, aussi bien dessinateur que promeneur ou observateur. L’histoire qui le légitime est attachée à celle de la Figuration critique qui s’imposa en France de 1965 jusqu’au début des années quatre-vingt.
Visite et interrogation de la » grande peinture occidentale »
Dans le catalogue d’une exposition à Lyon en 1992 consacrée à 11 artistes de la Figuration critique, Cueco déclarait, se tournant vers les années 65-75 » que l’engagement politique du groupe restera incompréhensible aux jeunes générations s’il n’est pas replacé dans son contexte. Pour les artistes groupés autour du peintre Gilles Aillaud ou des gens qui participaient au Salon de la Jeune Peinture, il a été très vite clair qu’il n’était pas possible de changer le monde depuis la position de l’artiste, que la situation de l’artiste ne donnait pas la possibilité d’articuler un langage par rapport aux gens que nous voulions toucher à l’époque et que l’on désignait comme » la classe ouvrière « . Par contre, ils nous a semblé possible de modifier ce qui se passait dans notre milieu. Et toute une énergie s’est dispensée à l’intérieur de ce milieu, avec sa diversité, ses contradictions, bref, une passion inouïe du moment. » Ce parcours de Cueco l’inscrit dans l’histoire de l’art, mais aujourd’hui, dégagé de ce lien quasi tribal, il continue à interroger l’image, non pas à partir de l’actualité la plus directe et quotidienne, mais en revisitant et en réactivant les modèles de la » grande peinture occidentale « . Ces images restent toujours à interroger au même titre que celles de la planète Mars, ou de la pomme de terre, que Cueco a examinée sous toutes les coutures et dans tous les états de décomposition et de germination. Rien ne se crée, tout se recycle et il en va ainsi de Poussin comme de Philippe de Champaigne dont Cueco interroge les oeuvres qui deviennent, sous son scalpel, objet d’examen aussi bien que le serait un fragment de la réalité. Cueco se glisse donc dans les plis et replis des drapés qu’il désarticule en autant de particules et de détails que peuvent livrer ces images qui sont pour lui des sortes d’icônes de notre mémoire. Depuis trois années, en effet, Cueco nourrit son point de vue d’artiste sur le monde par l’analyse d’un ordre esthétique et politique mis en place dans les tableaux du théoricien Poussin ou de l’idéologue janséniste Philippe de Champaigne. Ces récents travaux sont exposés au Centre d’art de Meymac (1) et donnent suite à une exposition, à Paris, à la galerie Louis-Carré (2). Cette présentation est accompagnée par la sortie d’un ouvrage réalisé à partir des dessins de Cueco aux éditions du Cercle d’Art (3).
Le rôle libératoire du graphisme dans la démarche de Cueco
Cet ouvrage fait suite en quelque sorte à un autre, consacré à l’artiste par les mêmes éditions, en 1995. Force est de constater que cet ouvrage consacré à l’oeuvre dessinée de Cueco se parcourt sans que besoin soit, dans un premier temps, de connaître le reste du travail de Cueco. L’analyse qu’en fait Marie-José Mondzain, philosophe connue, entre autre, pour sa connaissance de la problématique de l’icône, rend toute son autonomie au dessin que l’on considère bien souvent dans la culture occidentale comme un fondement traditionnel de la peinture, mais qui n’est qu’une étape, magnifiée par l’oeuvre aboutie que serait la peinture. Marie-José Mondzain nous montre en la figure de Cueco un peintre d’histoire qui, paradoxalement, semble s’être détaché de l’actualité pour entrer de plus en plus profondément dans l’inscription du présent, un militant devenu poète où l’unité de l’être humain réconcilie l’artiste et le citoyen, l’intime et l’universel. Le plaisir dicte son écriture qui nous invite à découvrir » un dessin allant des paradoxes topologiques aux vertiges réalistes, passant du calembour photographique aux rugissements anticapitalistes « . De même, l’artiste » mesure son goût de la vie à son intimité avec la mort, retrouvant là, la plus grande tradition du dessin qui ne trafique pas comme la peinture avec les fantômes de l’immortalité « . Le sens de la formule de l’auteur, la reproduction de nombreux dessins (des années cinquante jusqu’à nos jours) démontrent le rôle essentiel et libératoire que joue le graphisme dans la démarche de Cueco.
Que sont les soixante-huitards devenus ?
En 1992, Cueco, évoquant la révolte de Mai-68, brossait le portrait » du révolutionnaire pessimiste pensant que son action n’a eu pour simple effet que d’adapter la sphère culturelle à une évolution qui se faisait dans la société capitaliste, exemple visible à travers un certain nombre de cadres de cette société capitaliste qui ont été des grands révoltés de 68 « . Il décrivait également une » autre vision, plus optimiste: des pensées utopistes sont apparues, que l’on a fait mûrir, dont certaines ce sont révélées invivables, et d’autres comme des germes qui sont encore en état de porter autre chose. Des revendications de démocratie, certaines attitudes à l’égard du pouvoir aujourd’hui sont bien nées en 68, et c’est une naissance qui est sans doute porteuse d’utopies à venir, même si nous sommes dans un moment dépressif pour tout le monde « . Ces mots de Cueco sont toujours d’actualité et montrent la grande lucidité du personnage citoyen en même temps qu’artiste..
1. Meymac (19250), Abbaye Saint-André, jusqu’au 20 octobre.Tél: 05 55 95 23 30.
2. Paris (75008), Galerie Carré, 10 avenue de Messine, jusqu’au 31 octobre.Tél: 01 45 62 57 07.
3. Cueco, dessins, texte de Marie-José Mondzain, éditions du Cercle d’Art, 1997, 200 p., 300 illustrations, 390 F.
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