Alain Françon succède à Jorge Lavelli à la direction du Théâtre National de la Colline à Paris. Il explique pourquoi » le théâtre public n’a pas à faire des spectacles que pourrait faire le privé « .
Alain Françon est un homme réservé, peu médiatique, mais qui n’hésite pas à dire exactement ce qu’il pense, surtout quand la situation ne lui paraît pas satisfaisante. Jusqu’ici directeur du Centre dramatique national d’Annecy, on le connaît pour ses mises en scène fortes et d’une extrême précision qui, toutes, interrogent le monde. » Arracher un peu de sens au chaos du monde « , voilà pour lui l’utilité du théâtre et le sens de son travail. En 1994, il signait la mise en scène des fameuses Pièces de guerre d’Edward Bond qui eurent un grand succès à Avignon et firent découvrir l’auteur contemporain anglais à un public élargi. Puis ce fut la Mouette en 1995, Edouard II en 1996. Il sait aussi faire rire (la Dame de chez Maxim, de Feydeau) et émouvoir (Hedda Gabler, d’Ibsen). Sa première saison parisienne vient de débuter avec les Petites Heures d’Eugène Durif (jusqu’au 26 octobre, dans la petite salle) et avec Dans la compagnie des hommes d’E. Bond (jusqu’au 16 novembre, dans la grande), deux spectacles dont il signe les mises en scène. La programmation qu’il propose cette saison est courageuse et donne appétit: Brecht (Dans la jungle des villes); Heiner Müller (Germania III). C’est que l’homme prend très au sérieux sa responsabilité, c’est-à-dire la mission d’un théâtre public :
» Je ne veux pas me poser le problème » comment remplir la salle ? » Je ne veux pas fonctionner à l’audimat ou faire des coups médiatiques. Le choix des spectacles est essentiellement un choix de textes qui me paraissent aujourd’hui nécessaires. Si Adorno a pu écrire qu’il était impossible d’écrire après Auschwitz, des poètes comme Brecht, Bond ou Müller me semblent des guides possibles d’après l’enfer. Ce n’est pas le rôle d’un théâtre national de monter aujourd’hui les Beaux Jours de Beckett ou les Chaises de Ionesco. Il y a d’autres théâtres pour le faire. En revanche, je souhaite donner leur place à des auteurs comme Eugène Durif ou Michel Vinaver. Cela fait vingt ans que l’on parle de Durif comme d’un auteur de talent et d’importance, mais aucun théâtre national ne l’a encore monté. Quant à Vinaver, depuis les Coréens, il est absent des scènes. Sur huit spectacles annuels, ce serait formidable de pouvoir proposer huit véritables créations contemporaines. C’est hélas impossible pour des raisons de moyens et de salle. Le Théâtre de la Colline est » national « , mais c’est le moins subventionné de tous les théâtres nationaux. J’avais 5 millions et demi de subvention au Centre dramatique national d’Annecy. Ici, si l’on soustrait ce qui concerne l’administratif et le technique, il reste 3 millions pour l’artistique. Jorge Lavelli s’était pourtant beaucoup battu pour améliorer cette situation, il n’y est pas parvenu. »
Dans son texte de présentation de la saison théâtrale, Alain Françon parle de » l’utilité » du théâtre. Il regrette que cette idée d’une » mission du théâtre public » soit oubliée et il pose des questions qu’il regrette de ne voir discutées nulle part: » Pourquoi les places sont-elles si chères ? « ; » Pourquoi n’y a-t-il plus de troupe dans un théâtre national ? « ; » Pourquoi dans un théâtre comme La Colline est-il le seul permanent artistique, alors qu’il y a 85 permanents administratifs et techniques ? « . Alain Françon déplore l’absence de définition précise de la mission de service public, ce qui permet et encourage le favoritisme, les passe-droits et ouvre la possibilité de toutes les démagogies.
» J’ai appris à connaître le théâtre dans les années 60 à Saint Etienne. A l’époque, on parlait des » Dasté » comme on a dit plus tard » les Verts « . Cette utopie d’un théâtre d’art ouvert au plus grand nombre est toujours la mienne et si j’avais l’impression de » faire un spectacle de plus « , je m’arrêterais. Comment veiller à ce que la création s’adresse au plus grand nombre ? Refuser la facilité d’offrir des spectacles de consommation. Quand le théâtre public se met à faire les spectacles que pourrait faire le privé, alors il ne faut plus parler de création. La responsabilité de l’Etat dans cette affaire est énorme. Si l’on pense que nous sommes des dinosaures, alors qu’on nous le dise et qu’on nous mette au musée. Moi, je ne crois pas que notre place soit au musée. »
Dans la grande salle du Théâtre de la Colline, Alain Françon a donc choisi de re-présenter Dans la compagnie des hommes, mais il refuse de parler de » reprise « , puisque la distribution est nouvelle et que Michel Vittoz a entièrement retraduit le texte en collaboration étroite avec l’auteur qui a lui-même opéré quelques coupures. Avec ce choix, Alain Françon donne avec force sa vision forte du théâtre.
» Quand la pièce a été éditée, à côté de Jackett’s, le livre portait le sous-titre » pièces post-modernes « . Pour bien connaître Bond, je sais que ce mot signifie pour lui » perte de sens « ; c’est avec ce mot qu’il se collette et bataille. A travers une intrigue policière où il est question de possessions et d’injustice dans le monde des affaires – il s’agit là de l’anecdote – un personnage, le fils, Léonard, est conduit à aller à la recherche de son humanité, c’est-à-dire de tenter de répondre à la question » Qu’est-ce qu’être humain ? « . A un moment de la pièce, il en arrive à la conclusion que le monde est vide de sens, qu’il est injuste et cruel. Un peu comme si Moïse redescendait de la Montagne avec les Tables de la Loi et qu’il n’y ait rien écrit dessus. Dans la scène suivante est posée la question » Qu’est-ce qu’on fait ? « . Plusieurs solutions se présentent: aller jouer au billard, mettre en cause Dieu. Il finit par conclure qu’il faut prendre le monde à bras-le-corps et lui donner sens. Et, dans un geste absolument lumineux, il se suicide. Mais, avant, il donne sa montre, c’est-à- dire son temps et son argent à Barclay. Ce sera le personnage qui donne sens au monde parce qu’il reste et peut échapper à la contradiction sens-non-sens. Un autre personnage, Hammon, ne pourra plus oublier le visage de Léonard au moment de sa décision et la question que celui-ci pose par son geste ne pourra plus le quitter. »
Pour Alain Françon, cette pièce est la plus forte de Bond, peut-être avec Coffee qu’il aimerait bien monter un jour, mais c’est aussi la plus grande de ces trente dernières années.
Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris. Tél: 01 44 62 52 52 ou Minitel 3615 La Colline.
1. La première fête des langues a eu lieu au printemps à Toulouse, contre les nationalismes, les ethnocentrismes, les racismes » pour construire cette philosophie radicale de la pluralité culturelle – le seul message pouvant être accepté et repris par toutes les cultures du monde » dit Félix Castan.
2. La création de Voix du Sud aura lieu à Marseille le 30 octobre lors de la Fiesta des Suds, coordonné par Achiary avec la rencontre des voix et des choeurs de Beñat Achiary et le choeur Ama Lur de San Sebastin, Jean-Paul Poletti et le choeur d’hommes de Sartène, Michel Bianco et le Corou de Berra (Alpes méridionales).Un CD sera publié par l’Empreinte Digitale, à Marseille (dist.Harmonia Mundi).
3. » Ces premières rencontres constituent la première étape d’un périple jalonné de ports francs, de comptoirs, de campements nomades, de chemins de traverses, de questions…contre la peur, la désinvolture et l’arrogance, l’obscurantisme, reste entier notre désir de renouer avec la splendeur qui nous appartient « , disent les organisateurs.
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