Festivals

En ces temps de mondialisation sans frein, des créateurs, des artistes font entendre leur différence et les richesses de leur culture fondée sur le métissage et les emprunts. Un nouveau type de festival en rend compte.

Vers la fin des années 90, une expérience neuve apparaît en France, au-delà du festival international spécialisé (danse, musiques, jazz…), où les vedettes attirent la grande presse et les médias, comme au-delà du festival local ou régional à la recherche de la mémoire ancienne. Un autre genre de festival axé sur des rencontres et des expériences fait sa première apparition à l’est, en Franche-Comté, fondé par la Montagne froide (Michel Collet) et prenant chaque fois des titres spécifiques comme  » Aux sources de la Savoureuse « ,  » Mille étangs « , sous la forme de promenades, d’actions, de lectures, de danses, d’expositions, de musique, dans des villages ou dans des lieux solitaires, avec la participation des hameaux, loin des chemins balisés, sans retour aux sources folkloriques ni au grand rassemblement populaire. A l’ouest, Serge Pey, poète oral, chargé d’enseignement à l’Université du Mirail de Toulouse, inaugure des marches et des rencontres vers Montségur, dans les grottes des Pyrénées, sur la Garonne, au moment où naissent The Fabulous Trobadors (avec Claude Sicre) dont les objectifs communs sont de refuser l’érasement des expériences particulières, de faire prendre conscience de la richesse et de la diversité des langues, et tout particulièrement l’occitan. Cette prise de conscience dite  » régionale  » (bien à tort) n’est pas une régression ou une peur devant la mondialisation de la culture de masse mais l’approfondissement, par une incarnation particulière, d’une conscience universelle: agir contre toute forme d’enfermement (particulier ou cosmopolite), contre les distinctions académiques des genres, pour une culture vivante, c’est-à-dire globale, où tous les sens soient au rendez-vous (1).

En 1996-1997, une nouvelle étape a été franchie avec la création de trois festivals différents mais complémentaires, qui manifestent l’émergence d’une culture plus fluide, faite de confrontations, sans tomber dans la World culture ni dans la nouvelle technologie: vers des expériences à taille humaine et sans le mugissement obligatoire des médias qui justifie parfois de gros budgets.

Une culture basée sur une langue orale et des pratiques très anciennes

Dans le Pays Basque, ancré dans une lutte ancienne et permanente destinée simplement à faire reconnaître l’existence d’une culture qui se fonde sur une langue orale et des pratiques très anciennes – le basque -, Beñat Achiary, chanteur traditionnel et interprète de musique contemporaine, professeur de chant à l’académie de musique de Bayonne, actif propagateur d’une culture musicale et vocale méconnue, a fondé en juillet 1996, dans un village, Itsasu, un festival  » ouvert  » où la culture basque (voix, chants, improvisations, percussions basques…) se confronte aux autres traditions européennes et extra-européennes, avec la participation très active du village dont on découvrait également les chanteurs et musiciens. En 1997, la deuxième édition affirmait cette volonté d’en finir avec les illusions confortables. Après une promenade en fin d’après-midi dans la montagne, pour les enfants, autour d’un conteur africain et conduite par des musiciens basques du village, s’ouvrait, le lendemain, en soirée, dans la salle de pelote, la confrontation entre le groupe Cante Jondo andalou et l’immense voix, puissante et subtile, basque et d’Asie centale (technique diphonique), de Beñat Achiary, accompagné au xirula par Michel Etchecopar. En cette soirée s’écrivait le manifeste du festival: la diaspora gitane de l’Inde, avec sa danse hiératique et endiablée, l’Andalousie, les confins de l’Arabie et l’énigmatique présence basque (Caucasie, Asie centrale), l’affirmation de l’Eurasie, l’immense ouverture à ce continent méconnu, fruits de multiples mélanges. Les Gitans, malgré les mauvaises sirènes du show biz, ont su préserver la hauteur, la vie et la vitalité de leurs nombreux chants, pourquoi pas les Basques, les Occitans, les Sardes, les Corses, c’est-à-dire des individus farouchement décidés à ne pas se laisser assimiler, des écrivains oraux, des artistes du geste en quelque sorte, qui affirment la liberté neuve de leurs voix dans leurs corps propres, poussés, dynamisés par une tradition de l’improvisation et de l’innovation. Beñat Achiary provoque la réflexion entre la tradition orale et la musique contemporaine, comme ce fut le cas au temps de Chopin et du romantisme et de Bartok avec la Hongrie; un phénomène d’une égale ampleur est en train d’apparaître, dans les conditions de la civilisation technologique d’aujourd’hui. La suite du festival le confirma avec des musiciens du Nil (tradition islamique de Nubie, cultures vocales et musicales du Moyen-Orient et de l’Afrique), avec la présence d’une polyphonie corse de Sartène, d’un groupe vocal irlandais et d’un choeur de femmes de la région de Lyon, sans oublier les improvisations saxo de Michel Doneda (2).

Festival nomade, nouveaux troubadours et colporteurs-danseurs

Avec le nouveau festival nomade inauguré à Poitiers, fin mai 1997, sous le nom symptomatique de  » Mille voix-1000 voies « , apparaissait un autre type de rencontres, non seulement entre civilisation arabo-andalouse et Occitanie (Fatima Miranda, the Fabulous Trobadors, Serge Pey…) mais aussi avec la présence de voix diphoniques (Llorenc Barber, Fatima Miranda, Achiary où l’Inde et l’Asie se retrouvaient dans des gorges d’ici, pour la première fois franchissant les frontières) et les expériences verbales et gestuelles de Julien Blaine (aux confins de la Chine) et de Serge Pey (du côté des Indiens du Mexique), sans négliger la participation expérimentale de Tibor Papp et de Joël Hubaut. A Poitiers s’ouvrait une autre dynamique, transversale, au-delà de tous les clivages, vers la reconquête du corps propre, entier, d’une poétique totale, vers l’apparition de nouveaux troubadours, de colporteurs-danseurs, chanteurs-organisateurs de rencontres, qui ont décidé de se réunir (il y eut un premier colloque à l’Université de Poitiers avec la présence de Pierre Bec, médiéviste occitan) pour augmenter et enrichir les initiatives actuelles.

Faire renaître une polyphonie diversifiée de voix, sans hiérarchies

Enfin, en mai dernier, un tout nouveau festival, d’un genre original dans la région de Montbéliard: le festival de la vallée des Terres Blanches: Seloncourt-Hérimoncourt-Meslières-Glay-Dannemarie-Blamont. Ou comment faire connaître à la population locale un centre international de nouvelles technologies télévisuelles (le CICV). Un tel projet n’était pas joué d’avance mais il était urgent de le faire et de montrer qu’il était possible de rendre accessibles les nouveaux outils en essayant d’éviter tout à la fois le populisme et la culture élitiste. En parcourant les lieux où on put découvrir, notamment, les vidéos de Larcher, de Toti et de Cahen, comme les photos de Butard, et aussi des performances, des concerts, des installations (Saint-Jacques de Compostelle, sous une tente), une promenade-danse (de Valentine Verhaeghe) et une multitude d’essais, trop d’essais, difficiles à suivre dans un laps de temps aussi bref, plus un séminaire quotidien. Là aussi on trouvait la volonté d’en finir avec les séparations et les divisions (3). Faire naître, faire renaître une polyphonie diversifiée de voix, sans les hiérarchies, dans toutes les directions.

1. La première fête des langues a eu lieu au printemps à Toulouse, contre les nationalismes, les ethnocentrismes, les racismes  » pour construire cette philosophie radicale de la pluralité culturelle – le seul message pouvant être accepté et repris par toutes les cultures du monde  » dit Félix Castan.

2. La création de Voix du Sud aura lieu à Marseille le 30 octobre lors de la Fiesta des Suds, coordonné par Achiary avec la rencontre des voix et des choeurs de Beñat Achiary et le choeur Ama Lur de San Sebastin, Jean-Paul Poletti et le choeur d’hommes de Sartène, Michel Bianco et le Corou de Berra (Alpes méridionales).Un CD sera publié par l’Empreinte Digitale, à Marseille (dist.Harmonia Mundi).

3.  » Ces premières rencontres constituent la première étape d’un périple jalonné de ports francs, de comptoirs, de campements nomades, de chemins de traverses, de questions…contre la peur, la désinvolture et l’arrogance, l’obscurantisme, reste entier notre désir de renouer avec la splendeur qui nous appartient « , disent les organisateurs.

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