Présenté il y a quelques jours au festival de Cannes en compétition, Only God Forgives, le nouveau film du danois Nicolas Winding Refn déploie depuis mercredi sur les écrans français, toute l’étendue de la maitrise cinématographique de son auteur. Un film d’une violente beauté. Une éclatante réussite.
Rouge
Lorsqu’on tente de situer une œuvre dans la filmographie de son auteur, il est courant d’en comparer les genres, voire les thèmes. Plus rarement l’on prête attention à la couleur dominante d’une œuvre à l’autre. A tort, notamment pour Nicolas Winding Refn, qui à la suite de sa première trilogie sur les bas fond danois, Pusher, plongée dans le noir et la pénombre la plus totale, avait teinté son opus Viking, Valhalla Rising, de la couleur gris métallique des épées de ses protagonistes. Alors que Drive, son premier film avec Ryan Goslin qui le fît sortir de la confidentialité, ne cessait de se paraître des teintes bleutées des crépuscules de Californie et de la froideur des néons urbains, c’est un film rouge que signe aujourd’hui le réalisateur danois avec Only God Forgives. Un film rouge sang.
Noir
L’histoire, comme dans les précédents films de Winding Refn, tient ici en moins d’un feuillet. Soit Julian et Billy, tenanciers d’un club de boxe Thaï servant de couverture à un trafic de drogue. Incarnation absolue du mal, Billy viole et tue une prostituée de seize ans, puis se fait défoncer le crâne par le père de la victime à l’instigation d’un flic justicier coupeur de mains. Venue venger son fils préféré, la mère débarque à Bangkok pour organiser une vendetta que Julian se refuse à organiser et qui va virer au cauchemar. Film rouge sous influence ultra violente Only God Forgives reprend par ailleurs les codes du film noir. Images en clairs obscurs et ombres portées, mais aussi figures archétypales du genre, comme la femme vénéneuse et l’homme castré, empêché, impuissant. A ce titre, le film ne cesse de travailler sur la crainte masculine de l’autre sexe au gré de scènes qui voient Julian-Ryan Goslin cauchemarder autant que fantasmer s’introduire dans les béances obscures, qu’il s’agisse d’une porte au bout du couloir ou de l’entrecuisse de sa maîtresse. Il y avait longtemps que le cinéma ne nous avait pas « gratifié » d’une focalisation à ce point signifiante sur les dangers des trous noirs et ceux, corollaires des premiers, des vagins dentés, aiguisés.
De l’Opéra
Film magistral, Only God Forgives se déploie aussi, par delà le travail du cinéma, sous la forme d’un opéra contemporain dans lequel la théâtralité des décors intérieurs – qu’aurait pu signer quelqu’un comme Claude Lévêque – se conjugue à la partition atonale de Cliff Martinez, compositeur par ailleurs de la quasi totalité des films de Steven Soderbergh. Bien loin des us et coutumes symphoniques du cinéma, cette composition percussive, sonore, non mélodique, vient heurter les mélopées sirupeuses de karaoké thaï qu’entonne avec une certaine mélancolie le personnage du flic redresseur de tort. Une esthétique « opératique » renforcée par la picturalité de certaines images parmi lesquelles celles du visage tuméfié de Ryan Goslin « Francis Baconnisé » après sa confrontation avec le flic, figure associée à celle du commandeur. Dans cet écrin, Nicolas Winding Refn, ne se prive pas de recomposer certains schèmes des tragédies mythologiques, comme celui d’Œdipe mêlé par le réalisateur danois à une scène de crucifixion…
Le pied
Pour autant dans cet univers ou le surgissement de l’hémoglobine se joue comme unique possibilité à la résolution des conflits latents, Winding Refn n’hésite pas à parsemer son film de traits distanciés, ironiques, à la limite de l’humour. Ainsi, après que la bagnole a été au centre de Drive, son précédent film, peut on appréhender avec un léger sourire l’ensemble des scènes de courses poursuites dans Bangkok qui se déroulent à pied ! Manière d’affirmer que l’action au cinéma n’a pas forcément besoin de machines puissantes pour être efficace, qu’il s’agit avant tout d’une question de montage. A ce titre Only God Forgives renouvelle l’utilisation du montage parallèle. Là où classiquement cet effet de style donne au spectateur la possibilité d’être, et ici, et là, Winding Refn l’utilise pour offrir, dans une scène de gunfight aussi sèche que saisissante, au personnage justicier le pouvoir d’anticiper l’événement. A toutes ces raisons qui font du nouvel opus de Nicolas Winding Refn un pur moment de cinéma, dans lequel le traitement de la violence à plus à voir avec la sécheresse et l’épure des premiers films de Takeshi Kitano, qu’avec les boursouflures des derniers opus de Quentin Tarantino, il ne faudrait, bien entendu pas oublier les prestations sidérantes de Ryan Gosling, magnifiquement mutique, de Kristin Scott Thomas, formidablement effrayante, ainsi que de Vithaya Pansringarm, dont l’inexpressivité du masque va de pair avec l’effroi que sa présence provoque. C’est chose faite.


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