Gatsby, éloge de l’imposture

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Baroque, foisonnante, dépassant allégrement les bornes du kitsch, l’adaptation signée Baz Luhrmann du roman le plus célèbre de Francis Scott Fitzgerald marque le grand retour du cinéaste pop australien. Par delà la question de l’adhésion ou du rejet de l’univers d’opérette « camp » propre au réalisateur de Roméo + Juliette, la méga production Gatsby se donne surtout à voir comme le miroir déformant d’une époque, la nôtre. Un film symptôme.

Dans une conférence donnée il y a quelques années, Pierre Sterckx, critique d’art belge distinguait l’Art de l’esthétique publicitaire par son caractère excessif, débordant. De ce point de vue, la version que Baz Luhrmann, par ailleurs réalisateur de films pour l’industrie du luxe, donne de Gatsby le Magnifique rentre absolument dans cette catégorie. Car ici tout est «trop ». Que l’on s’attache aux décors d’un New York en ébullition, aux costumes siglés, d’une élégance extravagante, mais aussi à la bande musicale produite par Jay Z, cocktail improbable de hip hop et fox-trot, tubes pop et swing zazou, à l’exubérance de la mise en scène, entre ambiance Cotton Club et énergie Studio 54, de fêtes irréelles, ou à la réalisation survoltée des aller-retour entre Big Apple et Long Island, tout laisse à croire que Monsieur Plus a pris le pouvoir derrière la caméra pour raconter, une fois encore au cinéma, l’histoire tragique de Jay Gatsby, jeune et mystérieux millionnaire, amoureux fou de l’aristocrate Daisy, condamné à la chute pour avoir cru pouvoir abolir les rapports de caste, dans l’Amérique des années folles.

D’une certaine manière le choix qu’opère Baz Luhrman dans son adaptation, serait de n’en faire aucun. Etalant le luxe le plus ostentatoire tout en dénonçant le règne de l’argent fou, critiquant la décadence tout en prenant plaisir à en organiser le ballet visuel, jouissant des apparences en même temps qu’il en décortique les impostures, reconstituant enfin le plus fidèlement possible une époque en la truffant d’anachronismes, Luhrman ne recule pas non plus devant le grand écart qui consiste à faire de son Gatsby une sorte Citizen Kane évoluant sur le plateau d’un programme de télé réalité. Bref un grand mix au delà du post moderne, entre authenticité et futilité. Reconnaissons alors dans ce caravansérail la prouesse de Léonardo Di Caprio, reprenant tout à la fois le Roméo qu’il incarnait dans le premier opus de Baz Luhrmann, tout autant que les différents rôles emblématiques de sa carrière, de l’espérance brisée de Titanic de Cameron à la double identité du héros de Shutter Island de Scorsese. On comprendra alors aisément aussi, en parallèle de la romance hétérocentrée de Gatsby pour Daisy, la fascination manifestement homosexuelle du narrateur principal, Nick, interprété par Tobey Maguire, pour la figure de Gatsby. Après tout l’univers de Baz Luhrman ne constitue-t-il pas la version mainstream de l’esthétique queer ?

C’est alors que l’on peut comprendre Gatsby le Magnifique comme un film structuré sur le principe du double regard, le personnage de Nick possédant à ce propos une réplique assez peu équivoque, « j’étais dedans et dehors, fasciné et rebuté » prononcée alors que le montage de la plupart des scènes, à la limite du supportable visuel, alterne les axes opposés. Comme si se donnait à voir ici l’impossibilité d’une prise de position cohérente par rapport au monde dans lequel il évolue, l’individu n’étant finalement autorisé à sortir de sa place de spectateur, que pour être placé illico dans celle de pantin. A ce titre l’utilisation de la 3D renforce étrangement cette sensation de voir s’agiter, décollés du fond de leurs décors, des protagonistes transformée à l’état de marionnettes plus ou moins articulées. Par delà la méga-production à 125 millions de dollars, ce que réussit alors assez brillamment ce Gatsby le Magnifique c’est de se donner à voir comme théâtre mondialisé de la cruauté comme celui des impostures contemporaines.

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