Monsieur Spleen, notes sur Henri de Régnier

de Bernard Quiriny

La beauté de ce livre tient en grande partie à son inutilité. Bernard Quiriny, met d’ailleurs tout de suite à l’aise le lecteur qui n’aurait jamais lu une ligne d’Henri de Régnier (1864-1936). Les quarante volumes de vers et de prose (contes, nouvelles et romans) de cette sommité de la littérature de son époque ne sont aujourd’hui plus disponibles, il faut les chasser chez les bouquinistes. On se lance donc dans une lecture gratuite, ce qui, par les temps qui courent, ne manque pas de charme. Dans votre bibliothèque, Monsieur Spleen figurera parfaitement le fameux « Aboli bibelot d’inanité sonore » de Stéphane Mallarmé.

Cela tombe bien, on est au cœur du sujet. Régnier idolâtrait Mallarmé ; il fréquentait son salon, lui dédiait ses vers symbolistes, une admiration que l’auteur d’Un coup de dé lui rendait semble-t-il un peu. Il voulait que Régnier épousât sa fille. Mais ce dernier lui préféra pour son plus grand malheur (quoique, allez savoir en cette matière) la fille d’un autre poète : Marie de Hérédia. Elle ne se laissera jamais toucher par son mari, le fit toute sa vie ouvertement cocu, eut avec l’érotomane Pierre Loüys un enfant que Régnier fit semblant de prendre pour le sien. D’où cet affreux bandeau qui entoure l’ouvrage sur lequel on peut lire : « Grandeur et misère d’un cocu magnifique ».

Quiriny n’a pas écrit une biographie de Henri de Régnier. Comme l’indique le sous-titre de Monsieur Spleen, il s’agit de notes qu’il a prises au fils de ses lectures et de ses recherches. D’une fragmentation de sa passion pour Régnier (point commun : ils écrivent tous les deux des contes fantastiques), un peu comme la pratiquait autrefois Roland Barthes avec ses écrivains préférés (Sade, Fourier, Loyola). L’air de rien, Quiriny glisse au passage beaucoup de lui-même dans cette approche biseautée de Régnier, jusqu’à le constituer en double fantasmatique. En revanche, il est étrange que, pas plus que les autres commentateurs du poète symboliste, y compris ceux versés en psychanalyse, il ne relève tout ce que la destinée de Régnier contient d’homosexualité refoulée : candaulisme, insistance de son grand ami André Gide à l’emmener en voyage, etc.

A l’arrivée, un monument jamais funèbre à la littérature sans postérité.

Monsieur Spleen, notes sur Henri de Régnier , suivi d’un Dictionnaire des maniaques, Bernard Quiriny, éd. Le Seuil, 272 pages, 21 euros.

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