L’Ecume des jours, « êtes-vous arrangé(e) par Duke Ellington ? »

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Mal aimé par la critique, L’Ecume des jours, film adapté de l’œuvre iconique de Boris Vian et signé par le réalisateur touche à tout Michel Gondry a pris le risque d’être frappé d’infamie pour avoir tenté de traduire littéralement l’univers visuel du plus célèbre joueur de cornet germanopratin. Un ratage apparent derrière lequel se cachent néanmoins (et en trompette) de fragiles pépites de cinéma et d’émotions.

Et si on commençait par la fin ? Le film est raté. Voilà. C’est dit, écrit. Terminé. Enfin pas tout à fait. Raté pourquoi ? A causes des comédiens ? En partie oui, chacun jouant non pas le personnage du film, mais le sien, en tant que comédien. Romain y fait donc son Duris, Audrey sa Tautou, Omar scie… Quand à Gad Elmaleh, il enfonce de son côté tous les standards du miscasting, tant son jeu de benêt, tout en lunettes et costards en tergal, ne « fit » pas avec le rôle de l’intégriste de l’œuvre de Jean Sol Partre, le célèbre philosophe-gourou existentiel. Voilà qui donnera des gages à ceux qui dénoncent un cinéma français inféodé aux acteurs et actrices bankables, et tant pis pour les spectateurs.

Le film est-il raté à cause de la traduction visuelle que Michel Gondry fait des trouvailles du bouquin de Vian ? En partie aussi. Non pas que Gondry ait manqué d’imagination. Au contraire le plus célèbre des clippeurs français en aurait presque trop. Sortant de sa malle la quasi totalité des joujous, trucs et astuces vidéos qu’il invente pour des clips et collectionne depuis une trentaine d’année, Gondry s’est lancé dans une adaptation tellement littérale de l’Ecume des Jours qu’elle en devient, par force répétitions, d’abord distrayante, puis bégayante, enfin épileptique. Ainsi à trop vouloir aller systématiquement au bout de la démonstration (comme dans la scène du pianocktail, instrument musical et machine à cocktail) Gondry-Géo Trouvetout semble ne pas remarquer qu’il asphyxie son film. Voire.

Car si l’Ecume des jours, s’avère être le roman d’une génération de « petits énervés », zazous de l’immédiat après guerre, pour qui la joie et le plaisir constituaient une rébellion à tout ce que la France charriait de mortifère, il est aussi l’expression d’une tristesse abyssale face à l’injustice de la maladie et de la mort au bout du chemin. Vian étant « malade du cœur », le personnage de Chloé ayant un « nénuphar dans le poumon » qui lui sera fatal, il n’est pas anodin finalement que le film de Gondry, par delà la frénésie apparente de son univers visuel organise lui même la raréfaction de son oxygène. Ainsi plus que par le passage de la couleur au noir et blanc, c’est par le travail de l’accumulation que l’Ecume des jours réussit malgré toute les irritations et les agacements qu’il peut provoquer, à étreindre in fine le spectateur.

Derrière la gesticulation des pantins-comédiens se laisse alors entre-apercevoir l’émotion la plus classiquement poignante, celle d’un « c’est vraiment dégueulasse » prononcé, à bout de souffle, à chaque génération, par ceux qui, d’en avoir trop en eux, butent et se cognent à la vie. C’est alors que le film de Gondry, sympa, se rembobine mentalement, repassant sur l’écran de notre mémoire, tout ce qui nous a enchanté. Des pilules philosophiques et stupéfiantes, à tous ces objets dotés – à défaut d’une âme – de joyeux mouvements désordonnés, de cet univers machinique-absurde renvoyant au Brazil de Terry Gilliam aux visions rétro-futuristes d’un Saint Germain des Près translaté sur la colline de Ménilmontant. Un film finalement qui redonne envie d’ « être arrangé par Duke Ellington » et encore mis en boite par Michel Gondry.

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