» C’est à quel objet ?… « 

Le musée de l’Objet à Blois opère une véritable coupe géologique dans l’art des quarante dernières années en une centaine de pièces prêtées à la ville. Parcours d’une passion qui a su se muer en pédagogie éclairée.

Dans un livre pour enfants, il y a quelques années (1), on pouvait voir cette scène: des parents entrouvrant la porte à un Père Noël, derrière eux une petite fille naturellement très impatiente de découvrir les cadeaux, et les parents demandant au Père Noël:  » C’est à quel sujet ?  » De même, on peut imaginer un même décalage entre des générations  » de plain-pied  » (habituées à ce que l’oeuvre plastique n’utilise plus comme seul support la toile), et d’autres légèrement déroutées ici après avoir poussé la porte vitrée du musée jouxtant idéalement l’Ecole des Beaux-Arts et le Conservatoire municipal de musique (2), historiquement et visuellement accueillies tout à la fois par la Roue de bicyclette, ready-made (1913) et une superbe édition blanche du Moulin à eau et de sa Broyeuse de chocolat (1914-1923) de Marcel Duchamp, l’Objet surréaliste (1932) de Salvador Dali – fait d’une chaussure de sa femme Gala, d’un verre de lait, d’une cuillère en bois et d’un sucre suspendu au bout d’un fil -, et un masque mystérieux trouvé dans un marché aux puces par André Breton (3).

Une cuillère en bois et un sucre suspendu…

Mais de plain-pied ou non (a priori) dans cet univers, et progressant dans une visite qui va pour les dates de 1960 pour le Plein d’Arman et Etalage, hygiène de la vision de Martial Raysse à 1997 pour la Bibliothèque infinitésimale et supertemporelle d’Isou (4), dernière grande acquisition d’Eric Fabre, ce sera autre chose de comprendre la place qu’occupent respectivement ces créations et leurs auteurs dans l’histoire de l’art de cette deuxième moitié du vingtième siècle (on peut sans trop de peine imaginer que les avis différeront), les types de réflexion qui leur ont donné naissance, les engagements sociaux, voire politiques, qui participent de leur existence: le Lettrisme n’est pas le Nouveau Réalisme qui n’est pas le mouvement Fluxus qui n’est pas les objecteurs qui n’est pas le Conceptuel qui n’est pas l’Art sociologique qui n’est pas le Happening qui n’est pas la Nouvelle sculpture anglaise qui n’est pas le Punk (Titus). Le petit  » Guide de la visite  » proposé constituant à cet égard un premier et utile sésame. Y aide également un mode de présentation déjà expérimenté à la galerie de Paris (une longue estrade centrale favorisant les rapprochements, comparaisons, discussions), et qui ne peut certainement pas être le moins du monde confondue avec un  » bric-à-brac  » ou un quelconque amassement. Plutôt une manière de pédagogie non contraignante, une assez subtile toile d’araignée de relations, à l’identique en quelque sorte des clins d’oeil que se font les oeuvres entre elles, comme par exemple la Garde-robe de l’année 1977 d’Alain Satié à Obstruction (1920) de Man Ray. A trois jours de l’inauguration du musée, le 31 mai, Eric Fabre – qui avait ouvert sa première galerie rue de Seine en 1974 avec une exposition de Piotr Kowalski – disait de cette entreprise (5):  » C’est un petit projet aigu « .n J. P.

Musée de l’Objet, 6, rue Franciade, 41000 Blois. Tél.: 02 54 78 87 26. Fax: 02 54 74 88 45. Horaires d’ouverture en 1997/1998: samedi et dimanche de 14 h à 18 h, et sur r.d.v. Fermé les jours fériés. Tarif unique: 15 francs (prochaine exposition temporaire  » l’Art modeste », 10/10-30/4/98, 20 000 objets  » modestes », essentiellement en matière plastique des collections Di Rosa et Bernard Belluc).

1. Philippe Corentin, C’est à quel sujet ?, Rivages, 1984.

2. Au moins deux des artistes de la collection ont des préoccupations musicales: le New-Yorkais Joe Jones, lié à Fluxus, et Alexandre Gherban qui se consacre aujourd’hui à la recherche sonore liée aux nouvelles technologies.

3. Coïncidence: c’est au retour d’un voyage de trois jours à Blois, désignée au hasard pour une marche en compagnie d’Aragon, Vitrac et Morise, que Breton rédigera le Poisson soluble qui deviendra le premier manifeste du Surréalisme.

4. Dans l’art infinitésimal ou imaginaire (1956), Isou veut appliquer les procédés de Leibnitz et de Newton sur les quantités réelles en général aux particules de l’art et ainsi de leur assigner des virtualités réelles ou irréelles.Le supertemporel, sorte de bataille avec Chronos, est un cadre ouvert à la participation du public notamment, infiniment (voir ci la Marche des créateurs, 1970, de François Poyet).

5. L’amitié de Pierre-Jean Galdin, directeur du musée, et le soutien de Jack Lang, maire de la ville, auront permis d’aboutir.L’idée d’une fondation n’a pas été retenue au profit du système dit du  » prêt à usage « .En échange la ville, constituée en association a donné 5 millions de francs, et s’engage à assurer la gestion de l’accueil au public, la sécurité et un programme d’exposition temporaire dans un lieu spécialement créé à cet effet.L’Etat, pour sa part, a donné 200 000 F ( budget de fonctionnement: 1,5 million).

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