À ce jour, le changement de majorité n’a pas influé
sur les inégalités, toujours croissantes, entre riches
et pauvres. État des lieux par Didier Gélot, membre
de la fondation Copernic.
Au printemps 2012, la
France a changé de majorité.
Depuis la plus petite
commune jusqu’au sommet
de l’État, la gauche
dispose aujourd’hui de l’ensemble des
pouvoirs institutionnels. Mais que va-telle
en faire ? Comme en 1995, avec la
« fracture sociale » de Jacques Chirac,
la question des inégalités a été un
des thèmes de campagne majeur de
l’actuelle majorité présidentielle. Les
premières mesures économiques et
sociales prises par le Parti socialiste ne
semblent pourtant pas, malheureusement,
aller dans le sens d’une réduction
des écarts entre les Français les plus
riches et les plus pauvres. Un an après
l’élection de François Hollande quel tableau
peut-on rapidement esquisser des
inégalités en France ?
Les inégalités profondes qui caractérisent
la France, comme une grande
partie des États de l’Union européenne
(pour ne pas citer les États-Unis),
touchent de nombreux domaines : la santé,
l’éducation, le logement, la culture…
Nous nous intéresserons ici aux seules
différences de revenus (de salaires et
de patrimoine) qui sont à la source de
l’ensemble des inégalités.
Des riches de plus en plus riches
Au cours des années 1990 et 2000,
les plus riches se sont enrichis beaucoup
plus vite que la moyenne des
Français, et ce dans des proportions
insupportables. Entre 2004 et 2007,
tandis que les 90 % les plus modestes
de la population voyaient leurs revenus
augmenter de 9 % en moyenne, les 1 % les plus aisés enregistraient une
hausse de 16 % de leurs revenus, et les
0,01 % (les « hyper-riches ») de 40 %.
Et ces écarts sont encore plus prononcés
si on s’intéresse aux inégalités de
patrimoine. Ainsi en 2010, les 10 % des
ménages les plus riches possédaient
près de 50 % du patrimoine national,
alors que les 10 % les plus pauvres
en détenaient moins de 0.1 %, soit un
rapport de 1 à 200… et ces inégalités
n’ont fait qu’augmenter. En effet, à la
même date, le patrimoine moyen détenu
par les 10 % des ménages les plus
riches était 35 fois supérieur à celui de
la moitié des ménages les moins dotés,
alors que ce rapport n’était « que » de 32
six ans plus tôt. Entre-temps la politique
fiscale menée par le gouvernement précédent
avait porté ses fruits.
Mais au-delà de la politique menée en
matière de prélèvements obligatoires,
ces inégalités s’expliquent également
par une évolution des salaires de plus
en plus inégalitaire et une augmentation
forte de la part allouée aux revenus
du capital. En effet, celle-ci est passée
de 3 % de la valeur ajoutée en 1977 à
8 % aujourd’hui, et ce au détriment de
l’investissement. Ces deux facteurs se
cumulent d’ailleurs pour les dirigeants
des grandes entreprises multinationales
qui de fait gagnent sur les deux tableaux.
Les dirigeants du CAC 40 ont en effet vu
leurs revenus exploser à la fois comme
actionnaires de leur(s) entreprise(s) et
comme salariés en particulier du fait des
hausses enregistrées par les stock-options,
hausses qui ont largement défrayé
la chronique. Ainsi, le patrimoine de Bernard Arnault, l’homme le plus riche de
France selon le classement 2012 du magazine
Challenge, s’élève à 21,2 milliards
d’euros. Il faudrait à un smicard près de
1,6 millions d’années pour gagner une
telle somme… Et encore, il ne s’agit que
de son patrimoine professionnel, sans
compter ses autres sources de revenus.
Le revenu de Liliane Bettencourt, propriétaire
de l’Oréal, quatrième fortune de
France et première fortune féminine, ne
serait que de 15 millions d’euros. Pris
dans son ensemble, le montant total de la
richesse des 500 personnalités les plus
fortunées serait, selon la même source,
de 267 milliards d’euros, soit l’équivalent
de toutes les recettes annuelles de l’État.
Des pauvres
de plus en plus pauvres
À l’autre extrémité de la distribution des
revenus, le paysage est bien différent
et les situations nettement plus dramatiques.
Alors qu’entre 1950 et 1990, la
pauvreté avait baissé sous l’effet de la revalorisation
des pensions et de l’augmentation
du taux d’activité féminin, depuis
le milieu des années 2000, on observe
une remontée de l’exclusion d’une large
frange de la population. Quels que soient
les indicateurs retenus, les inégalités
s’accroissent entre les plus riches et les
plus pauvres. En 2010, dernière année
disponible, plus de 8,6 millions de personnes
vivaient sous le seuil de pauvreté
monétaire relatif (soit 964 € pour une
personne seule), et l’on peut craindre,
du fait de la crise, une poursuite de cette
tendance en 2011 et 2012. La pauvreté
touche plus fortement les moins de 18
ans (près d’un sur cinq est pauvre) et
particulièrement ceux des cités dont
le taux de pauvreté monétaire dépasse
45 %. Les femmes seules qui élèvent
leurs enfants sont aussi les premières
touchées par la pauvreté monétaire qui
est deux fois supérieure à la moyenne
nationale. Quant aux immigrés, ils sont
les grands perdants et enregistrent un
des taux de pauvreté les plus élevé et
l’évolution la plus défavorable (40 %
d’entre eux sont pauvres en 2010,
contre 35 % en 2009).
La crise explique une partie de ce phénomène.
Mais elle aggrave surtout des
situations de vulnérabilités préexistantes
qui résultent notamment du fonctionnement
d’un marché du travail particulièrement
défavorable aux moins qualifiés, et
en particulier aux jeunes et aux femmes
victimes de la précarité de l’emploi.
En évolution, la situation ne fait qu’empirer.
Ainsi, entre 2004 et 2010 le taux de
pauvreté global est passé de 12.6 % à
14, 1 %, soit le chiffre le plus élevé depuis
1997 (mais à l’époque la pauvreté
concernait 8 millions d’individus, contre
8, 6 millions aujourd’hui). La forte hausse
du chômage qui touche aujourd’hui plus
de 10 % de la population active explique
largement une telle augmentation de la
précarité. Elle explique également l’extension
des situations extrêmes de précarité
et le recours de plus en plus massif
des plus démunis aux organismes de secours
d’urgence : banques alimentaires, hébergements faute de logements, aides
sociales des CCAS. Parmi ces pauvres,
on retrouve une frange de plus en plus
importante de travailleurs précaires,
de personnes âgées, de familles nombreuses
ou de femmes seules élevant
leurs enfants. Sur longue période, alors
que la part des familles nombreuses
diminue, mais reste prédominante parmi
les pauvres, les personnes seules
et les familles monoparentales voient
leur poids croître de manière importante,
avec en toile de fond l’exclusion
liée à la solitude.
Pour une réforme fiscale
réellement redistributive
Pour progresser vers plus de justice
et moins d’inégalités, le gouvernement
actuel se devrait d’entreprendre une
profonde réforme fiscale qui dépasserait
largement les mesures déjà prises. Il ne
suffit pas en effet de remplacer le discours
démagogique de l’ancienne majorité
sur l’assistanat « cancer de la société
» par un discours compassionnel
vis-à-vis des plus démunis pour que les
inégalités s’effacent comme par enchantement.
Ce qu’il convient en premier
lieu d’engager c’est une véritable politique
redistributive, car prétendre lutter
efficacement contre les inégalités sans
modifier en profondeur notre système
de redistribution socio-fiscal, constitue
au mieux une illusion au pire une mystification.
Comme l’indiquait l’OCDE dans
un récent rapport : « La réforme des
politiques fiscales et sociales est la
manière la plus directe et la plus puissante
d’accroître les effets redistributifs. »
La refondation du système socio-fiscal
constitue un enjeu social, économique
et politique majeur. Elle permettrait, entre
autres, de financer sans attendre une
hausse significative des minima sociaux
qui depuis 1990 ont décroché par rapport
au salaire minimum et de ne pas se
contenter, comme l’a fait le Premier ministre
lors de la conférence nationale de
décembre de la lutte contre la pauvreté,
d’augmenter le RSA de 10 % sur cinq
ans, hausse qui ne compensera même
pas la perte de pouvoir d’achat enregistrée
depuis vingt ans par le RMI puis le
RSA, ou par l’allocation chômage.
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