Le texte est bref, le propos incisif. La crise
financière de 2008-2009 puis la crise de la
dette qui s’est ouverte en 2011 « ont produit
(et continueront de produire) des effets
très asymétriques sur les territoires ».
Afin d’analyser cette logique de différenciation,
l’auteur découpe la France en quatre
catégories :
- – Les territoires marchands en difficulté (8 %
de la population, 7 % de la superficie) sont
spécialisés sur des secteurs d’activité en
déclin chronique (textile, mécanique, sidérurgie).
Ils disposent de peu d’effets amortisseurs.
Les zones concernées se situent
le plus souvent dans le nord (Roubaix-Tourcoing,
Saint Omer) et dans l’est (Belfort-
Montbéliard, Mulhouse).
- – Les territoires non-marchands en difficulté
(12 % de la population, 20 % de la
superficie) ont atteint un stade de déclin
plus avancé. Ils dépendent fortement des
revenus non-marchands. Les principaux
emplois relèvent désormais du secteur public,
des activités médico-sociales et des
services aux ménages. Les zones concernées
se situent là aussi dans le nord (Béthune-
Bruay), dans l’est (Saint-Dizier) mais
surtout dans un vaste centre (Bourges,
Limoges, Roanne, Saint-Étienne).
- – Les territoires marchands dynamiques
(36 % de la population, 16 % de la superficie).
Il s’agit de zones dans lesquelles les
activités « modernes » sont très présentes
(aéronautique, agroalimentaire, conseil,
construction de matériel ferroviaire, informatique,
pharmacie). Ces zones sont identifiées
comme étant soit des métropoles
(Grenoble, Lille, Nantes, Paris, Rennes,
Toulouse), soit des petites zones très industrielles
(Cholet, Colmar, Les Herbiers,
Vitré), soit des zones touristiques (Briançon,
Maurienne, Mont-Blanc).
- – Les territoires non-marchands dynamiques
(44 % de la population, 57 % de
la superficie). Principalement situées à
l’ouest et au sud, ces zones ont bénéficié
de longue date d’une forte croissance
démographique, d’où une dynamique
forte en matière de BTP et de services.
Elles ont en outre bénéficié de solides
amortisseurs (tourisme, retraités à revenus
plus élevés que la moyenne issus
d’autres régions, …).
Le risque est clairement identifié : « Les
quatre France qui se dessinent sous nos
yeux ne vivront pas le même destin dans
les années à venir, comme le révèle la
période-test de 2008-2009. Les territoires les plus en difficulté seront confrontés aux
problèmes les plus graves, accentués par
le rabotage inévitable des mécanismes
amortisseurs. Les territoires peu productifs
mais dynamiques risquent de connaître un
net ralentissement alors que les territoires
productifs et dynamiques bénéficieront
d’une inflexion relative positive. Va-t-on
vers une France à deux, à quatre vitesses ?
Quelle en sera l’incidence sur l’équilibre
social et politique du pays ? »
En accordant une place centrale à la dimension
territoriale, le propos présente un
intérêt manifeste. Il permet d’attirer l’attention
sur une géographie économique trop
souvent négligée. Il suscite néanmoins de
nombreuses interrogations. Les variables
de compétitivité et d’attractivité mobilisées
pour qualifier la performance des territoires
laissent de côté deux questions majeures :
le travail et la stratégie. Il en résulte une
grille de lecture trop dépendante des nomenclatures
actuelles et des tendances
récentes sans pleinement mesurer les
enjeux de la crise, les bouleversements
qu’elle peut produire et les orientations
qu’elle appellerait.
Une analyse des dynamiques productives
territoriales supposerait d’apprécier
une agglomération de compétences, une
circulation de savoirs, une capacité d’innovations.
Évoqué, le relatif renouveau
productif d’Aix/Marseille ne peut pas se
comprendre sans une telle analyse. Il en
est de même de ce tissu industriel récemment
constitué de manière diffuse dans
un arc nord-ouest de la France. Une telle
analyse accorderait moins d’importance à la différence marchand/non-marchand
pour apprécier des continuités professionnelles
dans des filières d’activité comme le
textile/habillement, la santé ou le transport.
Ainsi, la construction de matériel ferroviaire
ne peut pas être envisagée sans prendre
en compte les opérateurs de transport
au premier rang desquels la SNCF, mais
aussi les conseils régionaux. De dynamique,
cette industrie, présente dans le
nord notamment, peut subitement devenir
moribonde en fonction de décisions qui lui
échappent et sans que la problématique de
sa modernité ne soit en jeu.
Face au risque d’asymétrie territoriale, les
économistes n’auraient que deux mécanismes
à proposer : la solidarité nationale
et la mobilité. La première étant affectée
par la crise des finances publiques,
il ne resterait que la seconde. Quand on
compare les trajectoires des ports de
Hambourg, du Havre et de Marseille, on
mesure l’écart sur les dynamiques territoriales
entre la stratégie logistique de la
ville/région allemande et son absence en
France aux échelles locale, régionale ou
nationale. Cet exemple illustre le besoin de
raisonner avec d’autres concepts, outils et
démarches pour affiner un diagnostic en
matière de géographie économique utile à
la décision politique.
La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, de Laurent Davezies, coéd. Seuil-La république des idées, 11,80 €.

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