Dans la jungle urbaine, nul besoin de scruter le ciel pour connaitre les saisons. Il suffit d’observer les devantures des cinémas. Faisant leur apparition toutes les sept semaines environ, les affiches de films pour enfants signalent en effet à l’homo citadinus que le temps des vacances scolaires n’est pas loin d’arriver. Dans cette profusion cinématographique, le film animalier semble appartenir à la plus inoffensive des productions. Mais derrière le genre « crô mignon » se cache un étrange discours. Zoom sur une idéologie.
A l’origine de Chimpanzés, film animalier, il y a un projet, qu’on aura quand même du mal à appeler politique, mais à tout le moins, charitable : sensibiliser les opinions occidentales à la cause des derniers singes. Menacés d’extinction à la fois par le braconnage, par la réduction, du fait de l’extension des activités agricoles humaines, de la forêt primaire, mais aussi par les conflits armés qui se déroulent au cœur de l’Afrique, les chimpanzés voient leur survie menacée. Mais, comme le signale le réalisateur du film dans le dossier de presse, « (si) les chimpanzés sont en voie d’extinction (…) à aucun moment nous n’avons voulu faire un film moralisateur. Ah bon. Le film doit être divertissant, captivant et drôle (…) les gens passeront non seulement un bon moment devant “Chimpanzés”, mais ils commenceront également à s’interroger sur la manière dont on peut protéger ces animaux ». Pas question donc de s’interroger sur les causes qui menacent les primates, il s’agit plutôt de promouvoir par ricochet médiatique le travail des fondations qui agissent en faveur de leur protection, comme l’Institut Jane Goodall ou encore la Wild Chimpanzee Foundation, participants au film au titre de cautions scientifiques, voire.
Car en fait Chimpanzés n’a rien de scientifique, bien au contraire. Ce que le film travaille jusqu’à l’insupportable, c’est la mise en spectacle des chimpanzés, par leur inscription – via l’imposition du commentaire – dans une narration totalement exogène : celle du quotidien humain. Certes le genre particulier du cinéma animalier, dans lequel la firme à tête de Mickey, productrice du film, est précurseur, a toujours utilisé un type de discours anthropomorphe, plaquant sur des comportements animaux, des désirs et pulsions humaines, mais jamais jusqu’à s’approcher à ce point – involontairement et l’humour en moins – de son pastiche mis en voix en son temps par Patrick Bouchitey dans La vie privée des animaux. A moins qu’il ne s’agisse d’une version live du Livre de la Jungle film d’animation et autre référence disneyienne.
Ainsi le film s’ouvre musicalement sur une forme de néo-fox-trot rappelant le tube animé-chanté par le personnage de Baloo Il en faut vraiment peu pour être heureux, distillant ça et là au long d’une petite heure et demie, ses propos lénifiants aux diverses inspirations. Morpho-psychologisant lorsque le mâle dominant est décrit comme « sage et expérimenté. Ca se voit à sa barbe blanche », notarialisant lorsqu’on apprend que pour les singes « la forêt (…) est leur propriété privée », enfin ethnologisant « trouver à manger est un travail à plein temps ». La géopolitique n’est pas oubliée lorsqu’on nous apprend que « la bande rivale veut s’emparer du trésor national, les noix », ni même le « vivre ensemble » lorsque les bruits de la jungle sont appelés « tapage nocturne chez les voisins ». Bref une succession de déplacements lexicaux, manifestations verbales d’un immense gloubiboulga intellectuel. En aucun cas les jeunes spectateurs du film n’auront appris quoique ce soit d’étayé sur la vie des chimpanzés.
On imagine par contre assez aisément qu’à défaut de réflexion sur la question animale, le premier réflexe des petits d’hommes et petites femmes, sera certainement de trouver le petit chimpanzé « crôoo mignon », comme si le but réel du film était de faire en sorte de transformer dans la tête des spectateurs ces animaux, d’abord en personnage de fiction, puis, finalement, en individus. A partir de là se trouveraient légitimées toutes revendications tendant à défendre la dignité des animaux, à la façon de l’écologie religieuse, respectueuse de la divine création, ou à la façon des délirants, type Brigitte Bardot, qui bientôt réclameront des « droits » pour les pauvres bêtes. A contrario de cette sensiblerie, d’idéologie conservatrice, et avec ceux qui n’aimant ni les chiens, ni les animaux ne sont pas tout à fait mauvais, nous pensons que le risque d’extinction des singes, comme celui de la disparition des abeilles d’ailleurs, à surtout à voir avec les conditions économiques et politiques de l’existence humaine. Chimpanzés dit le contraire et préfère leurrer les spectateurs. Espérons qu’ils ne soient pas trop nombreux.
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