Événement de ce début d’année, le film que Steven Spielberg consacre à la figure tutélaire d’Abraham Lincoln retrace le parcours sinueux qui déboucha sur l’adoption du 13ème amendement, inscrivant dans la Constitution des États-Unis l’abolition de l’esclavage. Un biopic sur Lincoln tout autant qu’un film à la gloire de la démocratie américaine avec au bout quelques pépites quand même…
Le film s’ouvre sur un combat au corps à corps, soldats noirs et blancs de l’Union Yankee contre Confédérés sudistes dans un champ tellement boueux qu’on n’y distingue ni les uns ni les autres. Nous sommes en Amérique, dans les derniers mois de la guerre de sécession. A l’issue du combat, Lincoln, assis sur une estrade en bois reçoit quelques conscrits, parmi lesquels deux engagés noirs, qui lui rappellent ses promesses concernant l’abolition de l’esclavage et l’égalité des droits pour chaque individu. Deux heures et demi plus tard, la première sera honorée au prix d’un abandon de la seconde qui ne sera effective, via les luttes pour les droits civiques, qu’un siècle plus tard.
Pour asseoir ce qu’il faut bien appeler son hagiographie de Lincoln en tant que monument de l’Histoire, Spielberg fait le choix de donner à voir en montage parallèle, à la fois la personne privée, pater familias torturé par le décès de ses enfants, et l’animal politique, convaincu qu’il lui faut faire voter l’abolition de l’esclavage avant de mettre fin à la guerre civile, au risque du retour de cette dernière, une fois la paix revenue. Le fait qu’il manque vingt voix à Lincoln pour faire passer son texte ne pose manifestement pas de problème insurmontable. Si le président refuse d’acheter directement les parlementaires, leur proposer des postes de complaisance ne semble pas sacrilège à sa morale politique. Plus délicate en revanche se révèle être la manipulation, et de la gauche du Congrès favorable à l’égalité des droits, et de la frange la moins convaincu des républicains qui préférerait signer la paix plutôt que l’abolition. S’il reviendra aux uns d’accepter de rogner sur leurs convictions, et aux autres d’être les dupes du double jeu de Lincoln pour que l’amendement soit voté, l’idéologie qui sous tend cet enjeux se révèle assez « soc’dem » en fait, préférant le compromis historique au basculement radical du système. Une politique des petits pas, très « démocrate » dont le cynisme politicien se voit contrebalancé par la figure bicéphale du personnage Lincoln, entre « monsieur petites blagues » et « lider maximo ».
On sait le cinéma américain agir comme outil de softpower politique et diplomatique de par le monde, transmettant son message aux nations. Il n’est pas anodin de constater alors que le projet de ce biopic remonte à 10 ans, en pleine ère Bush Jr. Comme si Spielberg, en s’attaquant à son Lincoln avait tenu à faire passer l’idée que l’Amérique vaut quand même le coup. La sortie du film post réélection d’Obama en plein débat sur le contrôle des armes à feu (et chez nous sur le mariage pour tous) lui permet de développer en outre une pertinence interne, Lincoln jouant alors comme discours sur la méthode politique qu’il conviendrait d’employer pour dépasser les clivages et oppositions de la société.
Esthétiquement crépusculaire Lincoln s’appuie sur l’incarnation d’outre tombe de Daniel Day Lewis, spectre marmoréen du président américain à l’avant veille de son assassinat, phare de la pensée politique, titan de l’Histoire. A cette figure un peu sur humaine du commandeur, on préférera sans nul doute ici la prestation de Tommy Lee Jones, monsieur « man in black », dans le rôle de Thaddeus Stevens. Un opposant de l’intérieur dont le rôle central dans la victoire de Lincoln nous était jusqu’à présent inconnu. Un républicain très radical, progressiste inoxydable, et orateur hors pair, bref une espèce de Mélenchon yankee, la bonne surprise !
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