Blancanieves, le grand retour de la (blanche) neige

Blancanieves, le grand retour de la (blanche) neige

Film muet, en noir et blanc, Blancanieves, de l’espagnol Pablo Berger, revisite de façon magistrale l’une des plus célèbres histoires des frères Grimm. Transformant le conte en mélodrame, l’inscrivant dans une Espagne des années vingt, au carrefour du cliché et de l’ironie visuelle, Berger signe à grands coup de citations cinématographiques un para-film hypnotique et envoûtant. Une œuvre fertile et moderne, beaucoup plus proche de la poésie de Tabou que du mécanisme grimaçant de The Artist

Pour un peu, ça deviendrait un genre à part entière. A la suite des expériences visuelles baroques du canadien Guy Maddin, ainsi que des variations esthétiques signées Kaurismaki (Juha), Gomes (Tabou) ou même Hazanavicius (The Artist), la sortie sur les écrans de Blancanieves tend à laisser penser que les films en noir et blanc, muets de surcroit, n’en n’ont pas (encore) fini avec le cinéma. Un paradoxe réjouissant après deux décennies de kitsch 3D et d’effets numériques à tout va, et une tendance «  back to the golden ages » plus vivace encore dans la musique populaire, que ce soit avec le groupe de blues-musette Les Primitifs du Futur, ou le combo proto rockabilly Katy, Daisy & Lewi. Mais revenons à nos sept nains…


Le rideau se lève sur une ville écrasée de soleil, désertée, tant l’ensemble de la population s’est pressée à l’arène pour assister à une corrida. Funeste corrida, du moins pour le matador, qui perd l’usage de ses jambes et de ses bras suite à l’attaque du « Toro ». Cette violence déclenche alors les contractions de sa femme, enceinte jusqu’au cou. Une petite fille nait, alors que la mère décède. L’infirmière convoite la place de l’épouse. Mélo. En moins de plans qu’il ne faut pour l’écrire on est transportés dans l’âge d’or du cinéma, celui de son invention, pas tant comme langage que comme art. Ici les figures de styles se nomment valeurs de plans, science du montage et compositions photographiques.

La situation dramaturgique installée, il faut que la petite goûte un peu au bonheur de sa grand-mère avant que de rejoindre son père impotent et sa marâtre perverse. Que la vieille calanche au cours d’un flamenco endiablé nous éclaire sur l’ironie dont fait preuve Pablo Berger. Chaque « espagnolade », flamenco donc, corrida mais aussi piété catholique, est en effet retournée, passant d’un schème conservateur et rassurant à un autre, inquiétant, mettant en danger les protagonistes.

Par delà le respect, pas loin du fétichisme joyeux, des codes esthétiques et visuels du cinéma d’antan, ce qui emporte, c’est la relecture, limite queer, du conte pour enfants. Ainsi du personnage de la belle mère, dominatrice BDSM, maitresse d’un officier pré-franquiste, en laisse et à quatre pattes. Il en va de même des sept nains dont l’un(e) est travesti, à moins qu’il ne s’agisse d’un nain trans, allez savoir… Bien entendu parmi tous les hommages au panthéon cinématographique, la référence au Freaks de Tod Browning s’avère plus que limpide. Mais plus intéressante encore est la transformation de la jeune Carmen, pas encore renommé Blanche Neige, en jeune fille à la mèche garçonne, limite (very) sexy butch. Berger déborde alors les conflits sexuels sous jacents au conte pour investir visuellement d’autres territoires de genre.

Ce plaisir manifeste du réalisateur espagnol à explorer dans son film les altérités se double d’un propos politique assez peu ambigu, lorsqu’un manager faustien vient faire signer à une Blancanieves analphabète un contrat à vie et que cette dernière ne sait pas encore qu’elle en sera redevable par delà la mort. Et si la société des nains se donne à voir comme joyeuse communauté de saltimbanques, elle ne manquera pas de se faire absorber par la société d’un spectacle qui ne dit pas encore son nom.

Pour toutes ces raisons on aurait donc tort de s’abstenir d’aller admirer cette Espagne de cinéma dont la mise en scène opère en écho de la Californie des films noirs, type Sundet Boulevard (B.Wilder) au prétexte que la corrida en serait l’un des motifs centraux. Car dans les deux face à face entre l’homme (puis la fille) et le taureau, l’animal s’en sort plus que bien. Vainqueur la première fois, gracié la seconde, le combat entre les deux, relevant, plutôt que de l’habituelle boucherie, d’une chorégraphie de type mythologique. Plus que G. Bataille, c’est alors Picasso Minotaure qui nous vient à l’esprit. A l’issue de la projection de Blancanieves, notre esprit poursuit sa course vagabonde, dans le souvenir clair obscur de cette belle et étrange fantaisie. L’enfant qu’on a été songeant : qu’est ce que c’est chouette la (blanche) neige !

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