Parfois magistral, souvent bavard, parodique toujours, trainant quand même parfois un peu des sabots, Django Unchained, dernier film de l’enfant terrible quoique gâté d’Hollywood, Quentin Tarantino, et manifeste anti-esclavagiste revendiqué ne s’interdit rien. Ou presque : le dépassement de ses propres codes. Frustrant.
Avant toute chose, il s’agit de régler leur compte à deux polémiques nées à la suite de la sortie américaine du film. La première, venu de Spike Lee annonçant qu’il n’irait pas voir un film dégradant la mémoire de ses ancêtres esclaves, fût suivie d’une cohorte de commentateurs s’interrogeant sur le bien fondé de l’emploi systématique dans Django Unchained du terme « nigger ». Il faut reconnaître à la sortie du film que ceux contre qui Tarantino se déchaîne le plus, ce sont les blancs, tous plus crétins, mauvais, dégénérés, abrutis, tordus les uns que les autres. Seul la figure du docteur Schultz, chasseur de prime et européen, à qui Django doit son affranchissement échappe à cette charge particulièrement appuyée. Et de un. Certes l’emploi du mot « nigger » est récurrente, mais pour ce qu’un critique blanc puisse en juger, elle est prononcée autant par les esclavagistes, que par Django, personnage noir lui même, à tel point que d’insulte méprisante, elle en devient un tic langagier, au risque, d’en devenir quand même horripilante.
La seconde polémique, nettement moins médiatisée, fait suite au refus de Tarantino de répondre à une question de journaliste sur le lien que son film, pas particulièrement léger-léger question « gun-shot », entretiendrait avec les derniers massacres par armes à feu qui ont salement secoués les Etats Unis dernièrement. Jonathan Nossiter, réalisateur vinophile, en profita pour se jeter sur son clavier et faire part au réseau social de son dégout de l’esthétisation à outrance de la violence dans les films de Tarantino, dénoncant par là même son « nihilisme ». Tout doux bijou, sera-t-on tenté de répondre à Jonathan, tant la question de la violence au cinéma, entre contemplation et dénonciation, fait office de série Z du débat cinéphile. D’autant que le film, à la suite d’Inglorious Basterds, et contrairement à Pulp Fiction par exemple, met face à face deux types de violence. L’une oppressive, ici l’esclavagisme, à laquelle y répond l’autre, esthétisée certes, mais surtout cathartique, de l’affranchi dézinguant à tout va les salopards du camp d’en face. End of the story.
Que reste-t-il alors de Django Unchained, une fois ces mises au point effectuées ? D’abord et surtout un règlement de compte anti-esclavagisme, qui pour une fois dans le cinéma américain ne s’embarrasse du cadre d’une histoire « vraie » pour se coltiner le sujet. Il est vrai que, comme souvent dans le western, ce n’est pas la conscience du collectif qui caractérise le plus le héros, mais plutôt un individualisme forcené. Et pour une fois, on n’a pas le sentiment que Tarantino ait exagéré tant que cela les situations ; de là à affirmer qu’il apporte quelque chose de neuf, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Car à l’instar de ses autres réalisations Tarantino livre avec Django Unchained, un film post moderne, pétri – et à la limite pourri – de références à ses genres de prédilection, kaléidoscopique au risque de la rupture occulaire. S’il est certes gratifiant pour le cinéphile compulsif de monter dans le petit train référentiel du vidéo club de Tarantino, ce passage en revue de tous les topoï de genre peut aussi lasser.
C’est que l’inscription verbale, contrapuntique à l’action, qui faisait le charme de ses premiers opus tend à se transformer en bavardage faussement malins. Comme si ce qui était autrefois un style brillant s’était déplacé vers une forme de redondance sonnant parfois creux, émaillée, tout de même, de quelques moments de pure virtuosité jouissive. La scène des cagoules est à ce titre révélatrice. Tarantino reprend le motif historique de Naissance d’une Nation, chef d’œuvre inscrit au panthéon du cinéma mondial et plaidoyer puant pro Klu Klux Klan pour le détourner via une conversation de chiffons sur la taille des cagoules. Une fois le clin d’œil compris, les dialogues s’éternisent. On pense alors à ce que Woody Allen faisait de ce type de situation, dans Guerre et Amour notamment… C’est le problème quand on revisite les genres du cinéma. On peut les sublimer. On peut aussi reproduire leurs travers. Ainsi du western spaghetti, modèle suprême de Django Unchained, souvent aussi long que la pasta qui lui a donné son nom. Le dernier opus de Tarantino n’y échappe pas toujours. Dommage.
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