Foxfire, la fureur de vivre ?

Encensé par une critique quasi unanime, Foxfire, confessions d’un gang de filles, nouveau film post palme d’or signé Laurent Cantet enthousiasme franchement avant de décevoir quelque peu, à force d’hésitations entre teen movie fifties et questionnement politique nécessaire d’une radicalité en marche.

En cette période où le cinéma français se déchire à coup de tribunes assassines quoique salutaires sur le montant des cachets faramineux de certains acteurs, la première qualité qu’on peut reconnaître au nouvel opus de Laurent Cantet, au casting composé quasi exclusivement d’actrices totalement inconnues au bataillon du vedettariat spectaculaire, c’est d’asséner un démenti cinglants à tous ceux qui, en France, ne peuvent ni penser – si peu d’ailleurs – ni vivre – très bien quand même – le cinéma en dehors de ces douze salopards (pas ceux de Robert Aldrich, 1967, mais ceux du star system franchouillard) sans qui un film, pour peu qu’il ait l’ambition de trouver un public plus large que celui de l’Art & Essai, ne pourrait pas se monter, financièrement s’entend…


La deuxième qualité de Foxfire rejoint la première, car ces nanas, à peine adultes, recrutées sans passer par des agents – et pour cause – sorties de nulle part donc, emportent tout à leur passage devant la caméra de Cantet. Pleines de vies, pleines de fureur, ces filles de la génération Y incarnent à merveille ces pétroleuses des années cinquante, figures originelles des sixties contestataires ainsi que des seventies communautaires. Une fois cela dit, il faut quand même ajouter qu’au cinéma, le talent des débutants, c’est aussi – et surtout ?- bien souvent celui du cinéaste qui les dirige et met en scène. Sans point de vue, sans structure esthétique, en un mot sans regards, la matière-comédien peut ne déliver rien d’autre qu’une banale pantomime au mieux, un grotesque cabotinage au pire.

Troisième point en faveur du film, la remise à jour, et sur le devant de l’écran, via le personnage d’un vieux prêtre communiste, d’une histoire oubliée : celle de la gauche américaine. Pas simplement celle qui relève de la pensée liberal, sociétale, progressiste, social-démocrate, mais celle profondément socialiste, syndicale, qui fût un espoir autant qu’un combat, avant Mac Carthy, Reagan, Bush et consorts…. Une gauche américaine révolutionnaire. Paradoxalement dans ce film quand même assez anti-mecs qu’est Foxfire, c’est la figure de ce passeur de mémoire, de ce propédeute politique, de ce vieillard magnifique enfin, interprété par Gary Reineke, qui s’avère être l’une des plus touchantes. Il n’est en outre pas anodin de constater que ce personnage est l’unique homme de la fiction qui soit et reste bienveillant envers les filles du gang.

Enfin, ce n’est pas la moindre de ces qualités, Foxfire est un film de filles. Réalisé par un homme. Tiré du roman éponyme de Joyce Carol Oates – immense figure de la littérature US, annuellement favorite pour le Nobel de littérature, et auteur, pour les cinéphiles, de Blonde, un extraordinaire roman sur Marylin Monroe – l’adaptation qu’en signe Cantet s’inscrit dans une fidélité globale aux propos de la romancière suivant en cela les pérégrinations d’une bande de filles, passant de la société secrète du lycée à la communauté féministe organisée sous forme de gang, de la défense contre les agressions sexistes, à l’organisation de rackets, de la volonté de construire un nouveau monde à la dérive dans le rapt et le banditisme.

Cinéaste de gauche, Laurent Cantet n’oublie pas le background social de cette Amérique lowertown mais tergiverse à nommer les situations par leur nom, à les pousser vers leurs transformations nécessaires, qu’il s’agisse de la lutte des classes, de l’homosexualité des filles en passant par la question raciale. Penser qu’il s’agit là d’une simple retenue propre à la modestie d’un metteur en scène qui refuse la position de démiurge sur son film, ne permet pas d’évacuer totalement le sentiment d’une hésitation sur ce que pouvait ou aurait dû être ce Foxfire. Film politique renouant les fils d’un passé toujours pas passé ? Teen Movie historique dont l’exotisme tiendrait à sa féminité exclusive ? Reconstitution proto MLF sous influence early Rock’n’roll et bande son impeccable ? Un peu de tout cela finalement, au point qu’en sortant du film, le spectateur (la spectatrice ?) se retrouve à la fois satisfait(e) et frustré(e). Avec en tête tout ce que le film nous a offert et tout ce que l’on regrette qu’il n’ait pas poussé plus avant. Situation inextricable où le film manque de ce qu’on espérait y trouver. Bien que ce soit son septième film le critique se retrouve à marmonner : ce n’est qu’un début, Cantet, continue le combat…

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