Nanterre, violence d’un bidonville en guerre

Monique Hervo

C’est dans le cadre du Service civil international, ancêtre – en plus rugueux et militant – de nos Ong contemporaines, que Monique Hervo débarque en 1959 dans le bidonville de La Folie à Nanterre. Elle va y rester douze ans. Douze années (jusqu’à la destruction en 1971) passées à vivre avec les habitants, à partager leur quotidien et leur lutte, durant lesquelles elle prend des notes, des photos, recueille des témoignages.

Pour le cinquantenaire de l’indépendance algérienne, Actes Sud a eu l’excellente idée, fin 2012, de rééditer cet ouvrage, initialement paru au Seuil en 2001 sous le titre Chroniques du bidonville. Voici donc un journal brut de décoffrage, celui d’une femme française, ancienne brancardière des rescapés de Buchenwald, qui voulut «être aux côtés des Algériens par une vie partagée. Au service de la lutte d’un peuple colonisé sans apporter [ses] »bagages » d’Occidentale. Leur prouver [sa] solidarité».

Les chroniques quotidiennes qui y sont recensées débutent en août 1959 et s’achèvent le 5 juillet 1962, date de la proclamation de l’indépendance algérienne. Ces deux dates correspondent aux trois dernières années, particulièrement sanglantes, de la guerre d’Algérie. Une guerre qui va aussi se dérouler sur le territoire du bidonville oublié de La Folie où vivent de nombreux militants du FLN – mais aussi des marocains et tunisiens qui leur apporteront leur concours et leur solidarité. «La guerre d’Algérie je l’ai rencontrée dans toute son horreur, ici en France. A Nanterre», écrit l’auteure dans son avant-propos.

De fait, ce livre est violent. Il décrit la haine et le racisme d’une société française bien peu soucieuse de voir ces familles débarquées de leurs lointains villages du Maghreb pour s’entasser dans des villes véritablement faites de bidons, de cartons et de feuilles de goudrons. Une société qui ne s’alarmera guère, quand elle en sera informée, des descentes, rafles et ratonnades policières. En 1961, écrit Monique Hervo, «la répression s’amplifie. Les habitants doivent faire face aux innombrables arrestations, fouilles des baraques, représailles opérées par des descentes musclées sur le bidonville. Certains disparaissent. La torture est pratiquée, entre autres, dans les caves du commissariat voisin, à Puteaux, dont les hurlements d’Algériens transpercent les murs. De façon définitive, la guerre envahit le ghetto.»
En contrepoint de ces écrits glaçants, des photos: celles de militants FLN, hommes et femmes, jeunes ou mûrs, posant souvent en famille, regards fiers et marmaille pléthorique. En fond d’image, les murs et les allées pourries de la Folie.

Dans sa belle préface à l’édition de 2001, François Maspero avait écrit ceci: «on aurait tort de lire le journal de Monique Hervo seulement comme un témoignage sur une époque révolue. Il doit être lu en ayant présent à l’esprit que la banalité du mal n’a pas plus de frontières temporelles que de limites géographiques.»

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