La Palestine devrait obtenir un rehaussement de son statut à l’Onu. Cela ne va pas modifier les réalités de l’occupation et du rapport de force sur le terrain. Mais la bataille, aux enjeux juridiques et politiques, qui se déroule à cette occasion permet de mesurer l’isolement croissant de la position israélienne.
(mise à jour, le 29/11/12 à 9h50). Il est très probable qu’à l’issue de la journée, la Palestine accèdera au statut d’Etat observateur non-membre de l’Organisation des nations unies (ONU) qu’elle souhaite obtenir. La première des conséquences devrait en être que… la situation sur le terrain ne bougera pas d’un iota. Les colonies demeureront et continueront même probablement à s’étendre dans les jours et semaines à venir (ce pourrait être une part des mesures de rétorsion infligées par Israël à l’Autorité nationale palestinienne en retour, avec aussi la suspension provisoire du reversement des taxes; et ce même si le gouvernement israélien jure qu’ »il n’y aura pas de réponse automatique après ce vote« ); le mur qui grignote la ligne verte et participe à faire de la Cisjordanie une peau de chagrin ne sera pas démantelé; Jérusalem-Est ne sera pas la capitale officielle de l’Etat palestinien; la question du Droit au retour des réfugiés ne sera pas réouverte et, donc, encore moins celle du retour; les frontières d’un hypothétique Etat ne seront pas tracées; Gaza restera sous blocus.
C’est une certitude, la donne des dossiers clefs de la question palestinienne ne sera pas modifiée, en tout cas de manière immédiatement visible et concrète, par ce vote. C’est pourquoi depuis des semaines des voix s’élèvent au sein du mouvement de solidarité avec la Palestine pour dénigrer voire contester la démarche de la direction palestinienne.
«Abbas et les dirigeants palestiniens qui ont pris la décision de porter cette réclamation sont les mêmes qui coopérent avec les appareils militaire et de renseignement israéliens pour assurer la « pacification » des bantoustans et arrêter d’autres palestiniens, remarque ainsi un militant sur Facebook; les mêmes qui désespèrent de faire un deal avec des gens comme Olmert ou Livni, et qui garantissent que les réfugiés palestiniens ne retourneront pas chez eux (…) Et n’oublions pas que Abbas répète qu’après le vote, il veut juste retourner aux « négociations » (…) Les Palestiniens n’ont jamais manqué d’outils appropriés pour mener leur résistance, y compris dans l’arène légale et politique – le problème a été le manque de volonté des leaders palestiniens eux-mêmes d’utiliser ces canaux et l’absence d’implication des puissances mondiales. Et un vote de l’Assemblée générale de l’Onu n’impactera aucun de ces deux facteurs.»
Des critiques qui invitent au débat et sont largement fondées. Sauf que l’enjeu du vote de jeudi n’est pas de libérer la Palestine. Il s’agit plus modestement d’obtenir un statut plus favorable au sein de l’Onu. Le Hamas et les autres organisations politiques ne s’y sont d’ailleurs pas trompées et ont fait part de leur soutien à la démarche de Mahmoud Abbas. «Personne n’est opposé à l’obtention d’un statut d’Etat et (mon gouvernement) supporte tout mouvement visant à établir un Etat palestinien dans les territoires palestiniens occupés» a ainsi déclaré Ismaïl Haniyeh depuis Gaza.
Depuis juillet 1998, la délégation de Palestine dispose à l’Onu du statut d’observateur permanent, «une sorte de statut hybride entre celui d’observateur et celui d’Etat non membre», note le magistrat Ghislain Poissonnier dans un texte très complet sur les enjeux du vote. Ce que veut obtenir la direction palestinienne est un statut d’Etat observateur non-membre qui est aujourd’hui celui du Vatican. Les ambitions ont été revues à la baisse et il ne s’agit plus comme en septembre 2011 de tenter l’admission comme Etat membre: vu les conditions requises, elle est de toute façon inatteignable aujourd’hui [[L’admission au sein des Nations-Unies relève d’un processus particulier: après que l’Etat requérant a officialisée son acceptation de la charte de l’Onu, le Conseil de Sécurité (CS) statue sur une recommandation en faveur de son admission. Il faut pour cela que 9 membres du Conseil sur 15 y soient favorables, dont l’ensemble des cinq membres permanents qui disposent tous d’un droit de veto. Si le CS recommande l’admission, l’Assemblée générale doit émettre un vote favorable à la majorité des deux tiers pour intégrer le nouvel État. La deuxième étape de ce processus est sûre d’être atteinte par les Palestiniens mais c’est la première qui, avec le véto des Etats-Unis, serait aujourd’hui infranchissable.]]. L’obtention du statut d’Etat observateur non-membre n’est pour autant pas un simple pis-aller sans aucune implication. «Sur le plan juridique, la conséquence la plus importante sera très certainement la possibilité pour la Palestine de devenir partie aux principales conventions internationales. Le secrétariat des Nations Unies estime en effet qu’une résolution de l’Assemblé Générale des Nations Unies conférant le statut d’Etat, même non membre, revient à reconnaître la qualité d’Etat dans le cadre des Nations Unies», résume Ghislain Poissonnier. La plateforme des Ong pour la Palestine propose ce soir sur son site un état des lieux synthétique.
«Devenir partie aux principales conventions internationales». On entre là dans les enjeux politiques, ceux sur lesquels les Israéliens entendent ne rien céder: «Israël souhaite des clauses notifiant que les Palestiniens ne seront pas acceptés comme membres de la Cour pénale internationale de la Hague; [car] si c’était le cas, cela leur permettrait d’engager des charges contre Israël. De plus, Israël veut une clause indiquant qu’il s’agit d’une décision symbolique qui n’accorde aucune souveraineté [aux Palestiniens] sur la Cisjordanie, la bande de Gaza ou Jérusalem-Est», explique ainsi le journaliste Barak Ravid dans un article publié hier dans Haaretz. «(…) les autorités américaines ont fait savoir à Netanyahou que Abbas est déterminé à aller au bout de son initiative et qu’ils ne voient pas de possibilité de bloquer le vote. L’administration américaine a donc dit qu’elle allait essayer d’adoucir la formulation [de la requête palestinienne] afin de limiter les dégâts», rapporte-t-il également.
Le 14 novembre dernier, l’Afp a fait part d’un «document d’orientation politique» israélien dans lequel il est noté que « renverser le régime d’Abou Mazen [Mahmoud Abbas] serait la seule option dans [le] cas » où l’Assemblée générale accèderait à la requête palestinienne. Autant d’arguments pour tous ceux qui estiment que ce rehaussement du statut de la Palestine à l’Onu est une vraie bataille politique qu’il convient de remporter. «Si le gouvernement israélien et ses alliés dépensent tant d’énergie contre ce vote, c’est bien que l’enjeu est important», nous avait résumé Dominique Vidal en septembre 2011, lors de la première tentative palestinienne de reconnaissance à l’Onu.
L’historien et journaliste figure au nombre des signataires d’une tribune intitulée «La France doit dire oui à l’admission de la Palestine à l’ONU !» publiée le 22 novembre dans Le Monde [[Pascal Boniface, Rony Brauman, Anne Brunswic, Jean-Paul Chagnollaud, Manu Chao, Rokhaya Diallo, Miguel Angel Estrella, Jacques Gaillot, Gisèle Halimi, Stéphane Hessel, HK et les Saltimbanks, Marcel-Francis Kahn, Jean-Claude Lefort, Claude Léostic, Edgar Morin, Pierre Tartakowski, Lilian Thuram et Zebda en sont les autres signataires.]]. Elle a précédé de quelques jours la confirmation, donnée mardi à l’Assemblée nationale par la voix de Laurent Fabius que la France va voter Oui à la demande palestinienne. C’était un engagement de campagne du candidat François Hollande (le point 59 de ses 60 propositions) et il devrait donc être honoré – ce qui, soit dit en passant, ne coule pas de source depuis l’arrivée de Hollande à l’Elysée…
Le Portugal, l’Espagne, la Suisse, la Norvège et le Danemark voteront également Oui. Comme la Russie, la Chine et l’Inde. La décision de la France semble avoir eu un effet d’entraînement au plan européen et les Pays-Bas, la République Tchèque, d’abord pressentis pour s’aligner sur le Non d’Israël et des Etats-Unis (et de l’Allemagne), devraient finalement s’abstenir, comme le Royaume Uni. L’Australie aussi où la premier ministre Julia Gillard considérée comme une alliée indéfectible d’Israël a dû, pour éviter une crise politique, revenir sur sa décision de voter contre et annoncer que l’Australie, finalement, s’abstiendrait. Une anecdote qui ne bouleverse pas les données du conflit mais indique quand même que, huit jours après la fin d’une offensive meurtrière à Gaza qui était aussi pensée pour jeter un peu de confusion à l’approche du 29 novembre [[selon une analyse de Julien Salingue à lire sur regards.fr]], l’air du temps est volatile chez les amis d’Israël. Et que, dans ce contexte, et sans illusion aucune, le vote du 29, si il se conclut bien par un rehaussement du statut de la Palestine, peut malgré tout marquer, comme le souhaite l’Afps dans un communiqué une «volonté de la communauté des nations de reprendre la main et de ne pas laisser l’occupant et l’occupé dans un face à face déséquilibré et destructeur.»


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