Un gars, une fille, Nuit #1 de Anne Émond

Un gars, une fille, Nuit #1 de Anne Émond

Sensation québécoise du moment, Nuit #1, premier long métrage d’une toute jeune réalisatrice de Montréal propose une variation désenchantée des relations amoureuses, ballotées au gré du va et vient des désirs et de l’introspection. Un film pas spécialement féministe, mais totalement féminin.

D’abord on baise…

Dans la foule d’un club électro, ils sont deux, chacun dans leur bulle, chacun dans leur transe. Au rythme de la musique leurs corps se délient, se dénouent avant qu’au ralenti leurs regards ne se croisent. On les retrouve dans le couloir glauque d’un appartement. Il ne se souvient pas de son prénom, elle si. Ils se déshabillent jusqu’à ce qu’elle le suce. Puis c’est à son tour à lui de la lécher avant qu’elle ne lui dise : « j’ai envie que tu me baises ». Il la laisse seule, revient avec une capote, la baise, donc, puis jouit, mais pas elle. Alors il la branle. Un partout, égalité. On se demande alors ce qui fait d’un plan cul filmé, une scène de porno. La réponse est en creux. C’est la multiplication des angles de prise de vue, totalement absente de la mise en scène d’Anne Émond. Car ici la caméra reste fixe, suffisamment proche pour enregistrer ces instants durant lesquels la chair n’est pas si triste finalement, suffisamment loin pour laisser passer un peu d’air et pourquoi pas un peu de tendresse malgré tout.


Après on parle.

L’idée force du film, reprenant par là la structure narrative de Ma Nuit Chez Maud de Rohmer, consiste à faire passer les amants par tous les états de la relation amoureuse, en une seule nuit et quasiment dans un seul lieu. Un pari risqué, à base de longs monologues acérés. Dans ces confessions, ce qui se donne à entendre surtout, par delà l’invariant de l’incompréhension des sexes, par delà le « suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis » c’est l’errance d’une génération. Errance sentimentale, donc, mais aussi incapacité à mener sa vie dignement, dans la contrainte économique comme dans l’hypocrisie sociale. Ce que Anne Émond donne à voir, c’est une jeunesse, non pas paumée, mais terriblement désenchantée, sans horizon véritable. Un monde clos, une société aux impératifs totalitaires, aux injonctions paralysantes, un univers froid et humide.

Une obscure clarté

Dans ce temps sombre de la nuit d’une histoire amoureuse surgissent pourtant des éclats lumineux. De l’actrice tout d’abord, Catherine De Léan, à découvrir absolument à qui Anne Émond a laissé les commandes – notamment de la scène de baise – et qui compose un personnage généreux, profond quand bien même elle se révèle emplie d’inquiétudes existentielles. Sparring Partner, Dimitri Storoge a endossé le mauvais rôle, celui du salaud bavard et irritant, du looser complaisant, du sale type passif agressif. Depuis ce côté obscur, il réussit pourtant à incarner quelque chose en sommeil, en gestation, une colère et une rage mutilées. L’expression d’une existence gâchée. Enfin il y a la mise en scène, sans laquelle le spectateur sombrerait corps et biens. Un sens du découpage et du cadrage qu’on ne trouve que chez quelques grands cinéastes, ainsi qu’un « je ne sais quoi » qui a à voir avec la générosité ou l’intelligence du point de vue. En tout état de cause, un regard féminin.

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