Bénéficiant d’un lancement promotionnel maousse, d’une sortie événementielle le vendredi, et relayé par des critiques 100% élogieuses, Skyfall, le nouvel opus de la saga 007 n’aura pas failli à sa mission : attirer un maximum de spectateurs en un minimum de temps. Mais par delà le succès de l’opération marketing ou la fascination pour le cinéma grand spectacle, ce qui captive les foules pourrait bien avoir à faire avec le sous texte idéologique du film, entre repli sur soi et contestation de l’impérialisme 2.0. Décodage.
Est il besoin de résumer l’intrigue de ce film qui voit James Bond d’abord sacrifié par M, puis combattant Silva, brillant ex agent du MI6, lui aussi passé par perte et profits des choix stratégiques des services secrets britanniques, et bien décidé à se venger d’avoir été abandonné par son employeur ? Oui en ce que l’un et l’autre expriment d’abord le sentiment commun à tout salarié de pouvoir être laissé sur le carreau par des décideurs que les vies individuelles concernent assez peu finalement, comme si l’expérience des deux antagonistes trouvait sa résonnance dans la crainte diffuse de tout un chacun de se retrouver à la rue.
Par delà ce premier miroir tendu au public, l’autre grande arche narrative de ce 23ème James Bond en déploie un autre, sous la forme d’une opposition, bien connue dans le monde occidental, entre la montée en puissance des technologie de l’information et de la communication et l’obsolescence d’un nombre toujours plus important de membres du salariat, dépassés par une évolution technique toujours plus rapide et toujours plus tentaculaire. Que le bad guy de l’histoire, incarné par Javier Bardem, se range dans la catégorie de ceux qui retournent les armes 2.0 contre la domination de leurs concepteurs ne doit pas occulter l’évidence. A savoir qu’ici James Bond est dans un premier temps mis au rencart comme n’importe quel ouvrier approchant de la cinquantaine. Plus assez fort, plus assez précis, bref, plus assez performant, l’expérience de JB, qui pour tenir s’accroche à l’alcool et aux anti-dépresseurs, s’avère, encore une fois, être assez commune en ces temps de crise renforcée.
Bien entendu, Skyfall n’est pas le résultat d’une appropriation, par les trois scénaristes de cet épisode – d’une analyse antilibérale du monde occidental, mais le signe de la diffusion tous azimuts de ce constat selon lequel notre système politico-économique dévore ses grands enfants, quelle que soit leur place, quelle que soit leur classe. Néanmoins la question que pose le film est celle des solutions à apporter à cette expérience de double mise au rebus, partagée dans nos contrées développées. Malheureusement, à ce niveau là, il n’est pas fait référence au programme du Front de gauche.
Car cette double menace, générationnelle autant que technologique se voit coiffée d’une troisième bien arrangeante finalement. La menace du cyber terrorisme. De fait, que l’essentiel de l’action se déroule en Grande Bretagne doit être perçu comme un écho assez évident, non pas au retour de la tendance « cool britain », mais aux attentats dont Londres fût la cible il n’y a pas si longtemps. Face aux attaques le MI6 se place alors en état de guerre et abandonne son siège colossal sur les bords de la Tamise pour rejoindre l’ancien QG de Churchill, dans les entrailles de la capitale de l’ancien empire maritime. Back to basics. Ce qui fait alors revenir James Bond sur le devant de la scène c’est le sentiment patriotique de ce dernier, facteur d’union des protagonistes, par delà leurs divergences d’analyse de la situation.
Plus intéressant en revanche, l’aveu que donne à voir le film, de la fin de la suprématie technologique de l’arsenal occidental. En effet par delà la nécessité du retour aux sources du sentiment national dans le combat contre l’ennemi ce qui est présenté c’est un abandon de la guerre des algorithmes pour le combat mano à mano. Ainsi pour la première fois dans la saga James Bond, l’agent secret ne dispose pas de sa panoplie habituelle de gadgets. Un flingue, une radio, des vieilles pétoires, voilà tout l’arsenal de 007 pour tenter de mettre la pâtée à son ennemi. Une tactique rupturiste, entre low-tech et do it yourself, résiliente enfin, bien dans l’air du temps elle aussi.
Ne nous leurrons pas, toutes ces stratégies narratives, bien évidemment, ne sont au service que de l’objectif mainstream du film. Offrir un maximum de niveaux de lectures et de possibilités d’identifications afin qu’un maximum de spectateurs puissent bénéficier, par delà la virtuosité des scènes d’action et la mise en scène de la mythologie chic associée à 007, de la jouissance régressive de se sentir dans la peau des personnages. A ce propos la représentation des femmes ici ne propose aucune lecture sous textuelle particulière si ce n’est celle du sexisme de base. Ainsi sur les trois femmes qui apparaissent dans Skyfall, deux mourront, la troisième dont la figure semblait plus progressive, finissant secrétaire. Comme dirait l’autre, « What did you expect » ?


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