En Espagne, Belgique, Grande Bretagne, des formations politiques autonomistes occupent le devant de la scène. A l’occasion de scrutins ou de consultations, elles viennent de rappeler ces dernières semaines que la tentation séparatiste est toujours présente en Europe. Un entretien avec Jean-Yves Camus, politologue, chercheur associé à l’IRIS.
Regards.fr: Assiste-t-on à une résurgence des séparatismes régionaux en Europe ?
Jean-Yves Camus: Ce terme de résurgence suppose que l’on est en train de parler de phénomènes qui s’étaient éteints, avaient disparu et qui soudainement referaient surface. Or ce n’est pas le cas. En Flandre, au Pays Basque, en Catalogne, en Ecosse, dans toutes ces régions, le sentiment d’identité régionale est fort, ancien, et ancré dans l’histoire parfois depuis le moyen-âge. On parle là de peuples aux identités, aux spécificités et aux cultures propres, avec en plus dans le cas des trois premiers – un peu moins pour les écossais – une facette linguistique importante. En réalité, leurs revendications liées à leur culture n’ont jamais cessé de s’exprimer et cela de façon très diverse. Simplement, elles retrouvent aujourd’hui une place et une vigueur importante à cause de la crise d’identité européenne.
Le discours consistant à associer de façon systématique ces autonomistes à l’extrême-droite et au repli sur soi est donc une erreur. Ce n’est pas parce que les Flamands ont un parti séparatiste d’extrême-droite, le Vlaams Belang (ex Vlaams Blok, ndlr), que tous doivent être traités de la même façon. On sait bien que dans le cas de l’Espagne, chez les Basques et les Catalans, le discours indépendantiste est aussi porté par des forces de gauche, le franquisme leur a d’ailleurs fait payer très cher.
Regards.fr: Le terreau de la crise européenne est-il le seul lien entre ces situations?
C’est effectivement quelque chose de central dans ce que l’on observe aujourd’hui. Personne ne peut nier qu’il y a en Europe un déficit démocratique de l’institution: c’est la Commission qui fait l’Europe et nous ne l’avons pas élue. Dés lors, beaucoup de personnes ont, à tort ou a raison, le sentiment que si l’échelon de décision se rapproche d’elles, cela peut constituer une alternative démocratique à ce qui est perçu comme la technocratie européenne. Par ailleurs, dans une période de mondialisation à marche forcée, certains considèrent que les identités doivent être préservées. Et, là encore, ce n’est pas nécessairement une pensée réactionnaire. On peut tout à fait défendre l’idée qu’il vaut mieux vivre dans un monde où les identités diverses peuvent s’exprimer que dans un monde où les modes de vie se standardisent au point qu’on peut en arriver à se déplacer partout sur la planète sans avoir parfois le sentiment d’avoir changé d’endroit.
Regards.fr: Certains notent qu’il s’agit souvent de régions plus riches que l’Etat auquel elles sont rattachées et que leur velléités séparatistes s’expliquent donc par des raisons économiques…
Il y a bien une dimension fiscale. Car, de fait, si l’on s’en tient à la superficie des régions concernées, à leur poids et à leur activité économique et démographique, bien souvent, ce sont des régions qui peuvent prétendre à l’autonomie.
Regards.fr: Cela ne pose-t-il pas la question de la solidarité nationale?
Si, cela pose effectivement la question de la solidarité nationale mais aussi celle du délitement du sentiment de solidarité nationale, précisément. Et de la responsabilité des élites politique dans ce délitement qui est aussi très largement le fruit des politiques néolibérales à l’oeuvre en Europe. D’ailleurs, il y a là un questionnement profond pour la gauche: le fait que ces organisations politiques prônent, entre autre, le localisme, la valorisation des produits locaux, etc. est-il suffisant pour que l’on décrète a priori qu’elles sont de droite ou d’extrême-droite? Cela ne devrait-il pas au contraire inciter à inventer de nouveaux modèles, y compris de solidarité active? Avec, par exemple, la mise en place de circuits courts à l’échelle locale, du producteur au consommateur, qui auraient l’avantage de mettre en valeur les productions du crû.
Regards.fr: Cette poussée des séparatismes est-elle irrémédiable dans le contexte de crise européenne?
En tout cas, il est évident que tant que durera la crise en Europe et le traitement qui lui est fait, le contexte politique leur sera plutôt favorable. En Espagne, quand on est basque ou catalan et que l’on voit le traitement de choc que Mariano Rajoy impose au pays, on peut être tenté de penser qu’il faut d’urgence garder pour soi le peu que l’on a! C’est assez facile à comprendre.
En fait, dans la situation actuelle, il faut surtout veiller à ne pas aller vers des résolutions non juridiques et non pacifiques des conflits entre Etats centraux et régions. Regardons l’exemple de la Tchécoslovaquie. Dans les années 90, quand ce pays a décidé de se séparer, cela s’est fait sans confrontation guerrière et aujourd’hui la République tchèque et la Slovaquie ne sont pas en conflit. Quand ça se passe de cette manière, cela relève des peuples. Si demain les Belges décident de se séparer et que cela s’accomplit sans violence, quoi que l’on en pense, il n’y aura rien à dire, ce sera leur option. A contrario, il est vrai qu’il y a aussi l’exemple du Kosovo pour rappeler que ces situations comportent de toute façon des risques sérieux de dérapage.
Regards.fr: L’Europe des régions a-t-elle un avenir quand celle des Etats-nations semble aujourd’hui en difficulté?
Encore une fois, les flamands, les catalans, les basques et les écossais ont des spécificités et cela relève de l’histoire des particularismes, dans la très longue période. Histoire à laquelle n’appartient pas, il faut le rappeler au passage, la « Padanie » en Italie, qui en tant qu’entité politiquement et historiquement identifiée, est une invention de Monsieur Bossi de la Ligue du Nord…
Cette histoire nous renvoie donc aussi à cette idée que l’Europe peut être autre chose qu’une fédération d’Etats-nations. Les régions européennes ont des histoires mais aussi des capacités d’autonomie économiques très différentes, il est donc difficile de se projeter. Mais la séquence actuelle peut au moins conduire à s’interroger sur le modèle des Etats-nations qui n’est pas si vieux que ça: peut-être que l’Europe, à l’avenir, sera une fédération et que la base en sera une échelle autre, moins importante, que celle des Etats.




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