Après sa défaite, la droite est en chantier. Fillon-Copé se disputent âprement la tête de l’UMP ; Borloo veut organiser le centre ; Marine Le Pen assure disposer d’une machine de guerre. Jusqu’où ira cette recomposition ?
Cette fois, le projet initial de Chirac-Juppé est terminé. L’UMP, maison unique de la droite a cessé d’être. On se souvient que l’idée est née et fut mise en œuvre avec célérité au lendemain de l’élection présidentielle de 2002, qui avait vu l’accès de Le Pen au second tour du scrutin. En moins de trois mois, Chirac imposait à tous les ténors de s’unir dans une seule et même famille, pilotée par son président Juppé. Les « centristes » obtenaient en compensation de leur ralliement le poste de premier ministre (Jean-Pierre Raffarin) et la fin de la guerre sans merci qui déchirait la droite entre Balladuriens (alliés aux « centristes ») et Chiraquiens. D’éminents représentants du balladurisme entraient au gouvernement, Sarkozy, Fillon et Borloo. Le curseur politique était dominé par un équilibre « rad-soc » : pas de compromis avec le FN ; une politique libérale sur le plan économique [[marquée par l’impopulaire réforme des régimes spéciaux des retraites conduite par Fillon en 2003.]] et de réparation sociale des banlieues avec le lancement de l’Anru ; une politique internationale toujours « indépendante » et plutôt favorable au monde arabe.
Mais la trêve n’était déjà qu’apparente. Sarkozy qualifie plus tard cette politique de la prudence et du compromis de politique de « roi fainéant ». Depuis dix ans, son credo est différent : affirmer la droite. Il est l’inventeur du slogan désormais célèbre : « la droite décomplexée ». Et il parvient, au terme d’un profond travail de reconstruction idéologique, à réunir toutes les familles de la droite, qui jusque-là ne faisaient que cohabiter dans la maison UMP. Son leadership politique et idéologique s’impose. Il repose sur un bricolage dépassant le seul crédo libéral, qui ne fait pas recette en France. Sa proposition réunit volontarisme politique, foi libérale et autoritarisme en matière sociétale. Seul le pauvre Madelin ne s’y reconnaît pas. Out.
Les analystes politiques qui avaient l’habitude, depuis René Rémond [[Les droites en France, de René Rémond, (éd. Aubier). Première édition en 1954, réactualisée jusqu’en 2005.]], de classer la droite en trois familles – dont deux pour la droite parlementaire les « Orléanistes » et les « Bonapartistes » – croyaient leur outil conceptuel cassé (lire encadré p. 20). Un nouvel équilibre était né, il proposait une autre synthèse, une refonte. Les familles qui s’incarnaient en formations distinctes, UDF et RPR, sont désormais dépassées. La nouvelle proposition avait belle allure : Sarkozy gagnait haut la main la consultation de 2007 au bénéfice d’une mobilisation enthousiaste de son camp. Mieux, il enfonçait Le Pen. Les deux premières années d’exercice du pouvoir révèlent l’ampleur de l’aggiornamento qui permet, dans la foulée des évolutions de la droite américaine, de parler d’une droite « libérale-autoritaire ». L’ampleur de la crise financière grippe la mécanique réformatrice. Faute de pouvoir poursuivre l’élan initial, Sarkozy se rabat sur un discours identitaire pour galvaniser son camp. L’été 2010 sonne le début de la campagne des présidentielles avec le discours de Grenoble violemment anti-roms. À l’époque, à droite, les critiques sont très discrètes. Sarkozy et le nouveau secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, pensent pouvoir passer une vitesse supérieure : vote de la pénible loi sur la Burqa et lancement en grande pompe du débat sur l’identité nationale. Pour aborder l’échéance présidentielle Sarkozy resserre les rangs : quasiment tous les ministres qui ne sont pas du canal historique (RPR) sont virés. Borloo s’éloigne. Juppé intègre le gouvernement mais garde des réserves sur les inflexions populistes.
JEUX DE RÔLES
Cette stratégie de « droitisation toute » du discours aura-t-elle fait perdre Sarkozy en 2012 ou au contraire lui aura-t-elle permis d’éviter une défaite humiliante ? Le bilan de cette campagne est ambivalent : la droitisation n’a pas profité à Bayrou mais elle n’a pas stoppé le FN et Marine Le Pen a engrangé à un niveau élevé. Bien que complexe, le débat est larvé au sein de la droite. L’heure n’est pas encore venue de l’inventaire.
Mais l’heure du mouvement a sonné. La séparation de corps devient effective depuis que Jean-Louis Borloo a pris l’initiative de reconstituer l’ex-UDF en rassemblant sous un nom aussi creux que significatif (UDI, Union des démocrates indépendants) presque tous ceux qui ne viennent pas du RPR… Est-ce à dire que cette initiative conteste les évolutions du camp Copé-Fillon ? Pas sûr. Outre l’absence de critique, on remarque que Borloo ferme la porte à Bayrou en affirmant son ancrage à droite et son partenariat avec l’UMP. Il se peut que cette séparation arrange tout le monde : la dérive de l’UMP peut se poursuivre à moindre coût politique, puisque l’alliance avec les « centristes » est réaffirmée, tandis que ceux-ci peuvent préserver leur virginité politique… La limite de ce jeu de rôle est celle de la non-alliance avec le FN. Mais sur ce point, il y a consensus. Quant au libéralisme économique, malgré les difficultés politiques qu’il continue de rencontrer en France, il est leur fonds commun à tous.
CONCURRENCE FN/UMP
La bataille qui faite rage entre Copé et Fillon pour la présidence du parti et la place de leader dans la perspective de 2017, polarise les regards… Mais elle est déformante. La rudesse des propos ne doit pas masquer le peu de différence qui existe entre eux. Ils surjouent l’un et l’autre le positionnement à droite pour charmer les militants traditionnellement très ancrés à droite. La campagne de Sarkozy n’a fait que renforcer ce phénomène. Déjà en 1999, Michèle Alliot Marie avait gagné sur une image plus droitière que son concurrent Jean-Paul Delevoye, pourtant soutenu par Chirac. Aujourd’hui, les deux candidats sont dans une course à la droitisation de leur image et de leur discours. « Ma jambe droite n’a jamais été aussi forte », lance François Fillon plâtré, pour contrer un Copé qui avance comme argument définitif, « je suis plus à droite que Fillon ». D’accord sur le projet économique, les deux prétendants se lancent dans une course à l’échalote dans l’abjection à l’égard des sans papiers : l’un promet de retirer la CMU aux sans papiers, l’autre entend imposer l’intégration et annonce la fin de la gratuité des soins pour les détenteurs de la CMU… Synthèse : le secrétaire général sort début octobre un livre au titre éloquent La droite décomplexée. Il serait définitivement temps de tourner la page avec ce complexe de droite issu de la compromission de la droite avec Vichy et la collaboration. Rien n’est anodin quand, en arrière plan, se joue la question du FN. Car c’est bien ce qui hante les débats à droite. Comment se défaire du FN ? La question a pris une nouvelle acuité avec le succès de Marine Le Pen, dont on peut prédire qu’elle demeurera active encore quelques décennies…
Pour le moment, la seule réponse qui a droit de cité est celle du braconnage sur les terres FN. NKM, auteure d’un argumentaire anti-FN, avait déjà avalé son parapluie pendant la campagne des présidentielles. Aujourd’hui, elle pense revenir dans le jeu en se félicitant que les deux candidats reprennent ses idées. Misère. Tout déplorables que soient ces discours droitiers, ils ne signifient pas pour autant que l’alliance UMP-FN se prépare. La mue italienne, qui a vu s’allier un parti d’extrême droite banalisé avec des paris populistes, n’est pas d’actualité. Les classes dirigeantes françaises n’ont pas rallié le discours anti-européen, antilibéral et étatiste, antihumaniste du FN. Et le FN n’a aucunement l’intention de jouer les supplétifs. Il se voit dans une seule position : la première. Il veut croire à son avantage stratégique, celui d’anticiper une aggravation brutale de la crise sociale et politique, notamment dans ses dimensions européennes.
Tant que le centre n’aura pas retrouvé de la substance, la recomposition de l’opposition va se jouer dans la concurrence pour l’hégémonie entre l’UMP et Front national. L’UMP opte pour la concurrence directe avec le Front national, sur une ligne de droitisation. Quelles qu’en soient les subtilités, c’est le point d’équilibre actuel entre
les dirigeants de l’UMP.



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