Il a suffi d’une mobilisation médiatique d’entrepreneurs sur les réseaux sociaux se qualifiant eux-mêmes de « pigeons », pour que le gouvernement, en une semaine, recule sur l’imposition des plus-values au régime progressif.
François Hollande avait annoncé qu’il allait aligner la fiscalité du capital sur celle du travail : il a failli le faire ! Les pigeons ont eu raison de lui. Les pigeons ? Quelques individus se défissant comme « Mouvement de défense des entrepreneurs français » qui ont monté fin septembre un site web et ont recueilli 60 000 approbations Facebook en l’espace d’une semaine. De quoi s’agit-il ?
Jusqu’à présent, les plus-values sur actions (différences entre l’achat et la vente) étaient taxées à un régime de faveur de 19% plutôt qu’au barème progressif dont le taux marginal le plus élevé était de 41%. Une nouvelle tranche de 45% a été créée cette année. Rajoutez à celle-ci les prélèvements sociaux (CSG, CRDS…) de plus de 15% et une taxation de 60% est rendue possible à partir d’un seuil annuel néanmoins consistant (150 000 € par membre du foyer). Comme les taxations de plus-values réalisées sur des portefeuilles boursiers ne faisaient pas vibrer grand monde, voilà qu’il était nécessaire de lâcher des pigeons.
Qui sont-ils ? Des entrepreneurs qui ont monté ou repris une société et qui comptent bien la vendre un jour. L’argument massue : nous avons travaillé de nombreuses années pour réaliser cette entreprise, nous n’avons pas ménagé nos efforts, nous avons pris des risques et voilà que vous allez soumettre à l’impôt au barème progressif d’une année le travail de plusieurs années ! Nous voulons être taxés comme tout le monde. Discours acceptable a priori, tellement acceptable que le gouvernement a dû reculer très vite avec quatre aménagements [[Prélèvement forfaitaire maintenu en cas de détention de plus de 10% du capital depuis plus de 5 ans, abattement progressif pouvant aller jusqu’à 40% au bout de 6 ans de détention, exonération en cas de réinvestissement dans une nouvelle entreprise, régime transitoire pour 2012.]], aussitôt catalogués de « véritable usine à gaz » par Olivier Duha, président de Croissance plus [[Organisation patronale d’entreprises dites « de croissance »]]. Le tout accompagné d’un discours digne du café du commerce sur la contribution essentielle des créateurs d’entreprises à l’économie : on le sait, sans eux, point de salut ! Au final, en filigrane, l’appel au retour au prélèvement forfaitaire.
Mais d’abord, où sont les vrais pigeons ? Ceux qui sont taxés lorsqu’ils vendent leur entreprise ? Mais qu’est-ce qui fait la valeur d’une entreprise ? Les perspectives futures de dividendes. Autrement dit, ce qui est distribué aux actionnaires et non aux salariés, qui sont ceux qui créent effectivement la richesse. Ne serait-ce pas plutôt les salariés les pigeons ?
Voilà le propre de l’idéologie libérale dominante : renverser une situation pour la faire passer comme normale. Quid de l’effort des salariés ? Quid de l’initiative collective ? Comment passer sous silence le fait que 10% du PIB de notre pays est réalisé par l’économie sociale et solidaire dont la valorisation du capital n’est pas à l’origine de l’initiative économique ? Comment ne pas se rappeler que lorsque des salariés se mettent en SCOP, leurs parts sociales ne sont pas revalorisées mais servent à la pérennité de l’entreprise ? Oui, les entrepreneurs prennent des risques, notamment lorsqu’ils se mettent cautions solidaires des prêts que la banque accorde à l’entreprise. Oui certains d’entre eux sont endettés à vie en cas de faillite de l’entreprise à cause d’un système bancaire qui ne veut plus prendre des risques. Mais la solution ne consiste pas à prendre acte de ce système mais d’avancer vers un système bancaire socialisé qui financerait de façon collective les risques pris par des entreprises qui seraient elles-même propriété collective.
Mais cela suppose de donner à l’économie sociale et solidaire d’autres ambitions que celle d’être un troisième secteur cohabitant avec le privé et le public. Sans cette révolution idéologique qui consiste à promouvoir les initiatives collectives, le gouvernement reculera toujours devant cette défense irrationnelle de l’entrepreneur, qualifié de créateur de richesses. C’est une capitulation devant le discours dominant, un refus de la transformation sociale qui ne peut qu’aboutir à de nouvelles défaites.



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