En politique extérieure, aucune rupture radicale n’est attendue du nouveau gouvernement français. Les organisations de solidarité internationale se félicitent cependant de
la création d’un ministère délégué du Développement. Et tablent sur
plus de concertation avec les ONG.
Le grand silence de la campagne
présidentielle sur les enjeux de
politique extérieure aura tenu ses
promesses : dans ce domaine, le
changement, c’est pas pour tout
de suite. Après la victoire de François Hollande,
faute de vrai débat de fond, les chroniqueurs
diplomatiques se sont rabattus sur le supposé
clivage entre le « néo-atlantiste » Pierre Moscovici
et le « gaullo-mitterrandiste » Laurent Fabius.
Le second ayant, au final, emporté le Quai
d’Orsay, il a dévoilé les lignes de force de son
action à venir dans un entretien accordé au
Monde le 30 mai dernier. « Le Quai d’Orsay
sera au premier rang du soutien aux entreprises
françaises et de la promotion du rayonnement
culturel et scientifique de notre pays », assure
le ministre. Une « intensification » des liens avec
les « nouveaux émergents » est promise et, sur
la question de la Palestine, l’assurance que la
France est « très attachée à tout ce qui peut faire
avancer la solution de ce conflit ». On peut ergoter
longtemps sur le sens caché de sa formule phare :
« La France doit être une puissance d’influence
(qu’il oppose au hard-power et au soft-power,
ndlr) singulière et universelle. » Mais difficile
de trouver dans ses propos l’ébauche d’un
renouvellement profond de la politique étrangère
française.
Cette absence d’ambition n’a pas
échappé aux associations françaises intervenant
dans le champ de la solidarité internationale et
des relations Nord-Sud. Mais le temps où l’arrivée
de la gauche au pouvoir suscitait les rêves les
plus fous des « tiers-mondistes » est bien révolu.
Alors, sans illusion mais avec pragmatisme,
chacun commence par se féliciter du changement
d’équipe au sommet de l’État. Avec une attente
forte : renouez les fils du dialogue entre acteurs
de la « société civile » et pouvoirs publics sur
les enjeux internationaux. « On a confiance dans
la volonté du gouvernement et du Parlement
d’être à l’écoute des acteurs collectifs et
des citoyens, résume Nathalie Péré Marzano,
déléguée générale du Centre de recherche et
d’information pour le développement (CRID).
Ils nous ont d’ailleurs déjà contactés. Il faut dire
que sur ce terrain, on sort d’un champ de ruines.
C’était un désastre ces dernières années, une
mascarade ; il a vraiment fallu se battre pour être
reçu et au final, très peu entendu. » « J’ai reçu
un mail m’informant que le Premier ministre
souhaitait désormais travailler avec la société
civile et les associations. C’est très bien, abonde
Jean-Claude Lefort, président de l’Association
France-Palestine solidarité (AFPS). Mais on ne
se contentera pas de signaux de fumées, on veut
désormais des actes concrets. Et notamment
que les ONG et les associations comme la nôtre
soient consultées, entendues et associées aux
discussions sur les sujets qui les concernent. »
Le copain Canfin
De ce point de vue, la nomination de Pascal
Canfin au poste de ministre délégué au Développement, rattaché au ministère des
Affaires étrangères, a été accueillie avec
satisfaction, notamment du côté des organisations
humanitaires et de développement. Le jeune (38
ans) ministre, élu député européen EELV en
2009 et fondateur de Finance Watch en 2010
est bien connu de ces organisations. Il a d’ailleurs
confié à une ancienne d’Oxfam France, Maylis
Labusquière, le soin d’assurer les relations de
son ministère avec la société civile. « Son arrivée
est plutôt un bon signe, considère Stéphanie
Dubois de Prisque, chargée de communication
à l’association Survie. Pascal Canfin est en
pointe sur la question de l’évasion fiscale et
cette nouvelle génération peut participer à faire
bouger des choses même si on sait bien que la
solidarité internationale n’est pas une priorité du
gouvernement. »
« Cette nomination est encourageante, confirme
Sébastien Fourmy, responsable plaidoyer à
Oxfam France. Maintenant, on attend de voir
quelles vont être ses relations avec Bercy, et
le Quai d’Orsay. Et toutes les questions restent
ouvertes. Comment pourra-t-il réellement peser
sur le cours des choses ? Quelle enveloppe
va lui être allouée ? Dans le gouvernement
précédent, le centre de gravité de la question
de développement se situait quelque part entre
l’Elysée et l’Agence française de développement.
Est-ce que cela va bouger ? » Faute de publication
des décrets d’attribution des ministères délégués,
on ne savait pas encore mi-juin quelle sera la
réelle marge de manoeuvre de son ministère. Mais
dès le mardi 5 juin, Pascal Canfin a rencontré
des représentants d’ONG.
Attentes concrètes
Quels sont les dossiers prioritaires pour ces
organisations ? À Oxfam, la rehausse des
cadres de coopération internationale, la mise en
cohérence des politiques publiques ayant à voir
avec l’aide au développement, l’élargissement
de la taxe sur les transactions financières et des avancées sur la question de la protection
sociale et des systèmes de santé dans les
pays en voie de développement. Côté Crid,
Nathalie Péré Marzano évoque, elle, quatre
« leviers prioritaires » : « Sortir du discours de
grande puissance et travailler à construire des
dynamiques coopératives » dans un monde
multipolaire ; partir en quête de nouvelles sources
de financement pour l’action publique sur la justice
sociale et les droits ; promouvoir l’intégration de
la justice environnementale dans la solidarité
internationale, « en se posant la question des
modèles qui conduisent à la surexploitation » ;
et assurer le développement d’une « solidarité
citoyenne », notamment avec les migrants.
Ces thématiques Nord-Sud, où la question
environnementale est bien présente, ne devraient
pas laisser le ministre délégué indifférent. À
Survie ou à l’AFPS qui interviennent sur des
terrains plus nettement politiques, on parie
bien moins sur l’engagement de l’Elysée et
du Quai. Pour Survie, les priorités restent la
fermeture des bases militaires en Afrique et la
suppression du CFA en Afrique de l’Ouest. « La
présence militaire et la domination monétaire
sont les deux piliers de la présence française en
Afrique, résume Stéphanie Dubois de Prisque.
Il faut y mettre un terme. Nous avons sollicité
François Hollande sur ces sujets lors d’une
rencontre durant la campagne électorale mais
il a répondu en bottant en touche. » En juillet,
on doit voter au Congo Brazzaville, dont le
président Denis Sassou Nguesso est l’un des
piliers de la Françafrique « canal historique ».
« Cela aura valeur de test, prévient-elle. On va
voir ce que le nouveau gouvernement français
va valider… ou pas. »
Botter en touche, c’est aussi un peu ce qu’a
fait la diplomatie française lors de la première
rencontre à l’Elysée entre Mahmoud Abbas et
François Hollande le 8 juin dernier. Le Président
français a préféré à cette occasion mettre en
avant un « processus de négociation » plutôt
que de soutenir les Palestiniens dans leur
demande de reconnaissance par l’ONU. « Il
manque aujourd’hui des voix au Conseil de
sécurité de l’ONU pour passer l’étape suivante
de cette demande d’adhésion déposée en
septembre 2011, dont la voix de la France,
alors que des parlementaires souhaitent en
débattre. Il faut d’urgence modifier le système
afin que les citoyens et leurs représentants
puissent participer aux débats sur les questions
internationales », s’inquiète Jean-Claude Lefort
sans trop d’illusion : bien que soulagé de voir
partir l’équipe précédente « qui a fait régresser
notre politique au Proche-Orient », le président
de l’AFPS mise surtout à l’avenir sur… Les
mobilisations populaires pour faire pression
sur le gouvernement.




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