Front (inter) national

Front (inter) national

La politique extérieure de la France, hors zone Europe, est la grande
absente de la campagne. Tandis que les enjeux stratégiques et diplomatiques
sont négligés par la majorité des candidats, le FN a beau jeu
de proposer un programme international. Décryptage.

Depuis le début des années 1980,
le FN a fait son beurre en agitant
les thèmes de l’immigration,
de la sécurité et du rejet
de l’Europe. Du coup, on a un
peu oublié de se pencher sur ses propositions
en matière de politique internationale. À tort.
Car dans cette campagne où l’attention se focalise
sur les réponses à la crise, il s’avère être
l’un des partis dont le programme de politique
étrangère est le plus construit. Les autres se comportant
plus ou moins comme si cette question
était soit négligeable (« l’International ne sera
pas important dans cette campagne
», selon un
proche de François Hollande [[Propos de Dominique Villemot rapportés dans
Marianne, semaine du 3 au 9 mars 2012.]], soit trop complexe
pour prendre des risques politiques. De son
côté, sans proposer une feuille de route exhaustive,
Marine Le Pen réserve à la « Politique étrangère
» la même place, par exemple, qu’à l’« Autorité
de l’État », dans son projet. Et le contenu est net : onze « positions » clairement formulées,
soit une ébauche de programme, qui, exception
faite du Front de gauche, tranche avec les saupoudrages
des autres candidats en capacité de
dépasser la barre des 10 % (voir encadré).

« Le Front national a une politique étrangère plus
élaborée que les autres partis, c’est une réalité

», confirme Magali Balent, auteure du récent
ouvrage Le monde selon Marine [[Magali Balent, spécialiste de l’extrême-droite, est chercheur à la Fondation Robert Schuman, à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), et maître de conférence à Sciences-Po Paris. Son ouvrage Le monde selon Marine – La politique internationale du Front national entre rupture et continuité est édité par l’Iris (120 p. 17 €).]]. Une réalité qu’elle explique par trois
raisons : « Tout d’abord, il y a au FN l’idée selon
laquelle la nation doit assumer une mission, un
rôle à travers le monde. Cela est un peu moins
vrai aujourd’hui, le contexte a changé et l’universalisme
français est moins d’actualité, mais
cette visée malgré tout persiste. Ensuite, le fait de
s’intéresser à la marche du monde, de s’y positionner,
de rencontrer des responsables à l’étranger,
tout cela permet au FN de se désostraciser ;
enfin, l’objectif, essentiel pour le FN, de préserver
la nation de l’extérieur nécessite d’en avoir justement
un minimum de connaissances.
»

Contradictions

Car, bien entendu, en matière de politique internationale,
la « boussole » du FN, « c’est la défense
de l’intérêt national envers et contre tout
». Ce
qui ne va pas sans certaines contradictions :
chantre d’un monde des État nations, et ayant fait
de la « défense des peuples » (qui restent chez
eux) un cheval de bataille, le FN a ainsi manifesté
beaucoup d’inquiétude dès le début des révolutions
arabes, alors que, précisément, chacun
s’accordait à saluer l’irruption du peuple. « La
contradiction est nette
, relève Magali Balent. Ces
révoltes ont été vues au FN comme un danger
pour l’intérêt national puisque potentiellement
déclencheuses de flux migratoires. Donc, on a
vite oublié les peuples…
».

L’aspiration à une Europe identitaire ; la fascination
pour la Russie (peuple indo-européen, modèle
politique autoritaire) ; une défiance viscérale
vis-à-vis du « mondialisme », de l’immigration et
du « cosmopolitisme » ; une vision « agonique »
et belliqueuse de la situation internationale, sensible
aux thèses déclinistes, tels sont les points
« remarquables » du programme du FN en matière
de politique extérieure. Rien de surprenant sur le
fond, mais du nouveau dans l’habillage depuis
que la fille a succédé au papa à la tête du parti.
Selon Magali Balent, « Marine Le Pen s’intéresse
aux questions internationales seulement depuis
qu’elle est candidate. C’est la grande différence
avec son père qui lui est fasciné par ces questions.
Il est d’une autre génération, a fait l’Indochine,
l’Algérie… Sa fille est moins dans cet état
d’esprit. Mais elle dispose d’un programme prêt
à être appliqué et, surtout, cohérent : le FN n’est
pas obligé comme ses concurrents de composer
avec les grands principes du droit. Ils s’en
moquent et sont prêts à sortir des organisations
et des accords internationaux, ça ne leur pose
pas problème.
» Des candidats qui, en évitant
de se « peler » les questions internationales, ont
peut-être un peu vite oublié que, comme le rappelle
Pascal Boniface, « si on ne gagne pas une
élection présidentielle sur les questions stratégiques,
on peut la perdre sur ces sujets.
»

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