Alors que l’ultralibéralisation du monde de la finance
ne cesse de ravager les économies nationales en Europe,
le Royaume-Uni semble ces derniers temps succomber
à une étrange « Margaretmania ». Une nostalgie
oublieuse tant de la violence politique de l’unique
femme Premier ministre en Grande-Bretagne que de
la destruction de l’ensemble du modèle social d’après-guerre. Alors que le pays débat de la pertinence de lui
accorder des funérailles nationales (ou pas), sort sur les
écrans anglais, français et européens un biopic sur la
Dame de fer.
« I want my money back ! » Tout le monde, de ce côté-ci
du channel se souvient de cette formule, par laquelle
Margaret Thatcher avait imposé à la communauté européenne
un certain nombre de mesures budgétaires
dérogatoires en faveur du Royaume-Uni.
Si l’expression reste autant attachée à l’ex-Premier ministre
britannique, c’est aussi parce que, par-delà les considérations
purement économiques, elle exprimait particulièrement
bien le caractère de boutiquier autoritaire de son auteure…
Que penser alors de l’absence de cette fameuse réplique
thatchérienne au sein de The Iron Lady (La Dame de fer),
film biographique sur la première femme occidentale chef
de gouvernement, qui sort ce mois-ci ? Tout bonnement que,
contrairement à ce que l’on pourrait penser, The Iron Lady fait
tout pour éviter de porter un regard critique et/ou politique
sur son sujet !
À l’instar du Discours d’un roi, hagiographie monarchiste sortie
l’an passé, mettant en scène l’incroyable pseudo-courage
de Georges V à surmonter son bégaiement – et dont le propos
sous-jacent consistait à faire croire que sans cela Hitler
eut pu l’emporter – mais aussi à la façon de La Conquête,
opus cinématographique, assez boulevardier finalement,
reliant l’ascension présidentielle à la chute sentimentale de
Nicolas Sarkozy, The Iron Lady prend le parti de la justification
psychologique comme moyen d’éclaircissement, et
donc malheureusement aussi de justification, des décisions politiques des uns et des autres.
La brutalité avec laquelle Margaret
Thatcher mît en œuvre sa politique
apparaît dans ce film comme la
conséquence simple d’un caractère
un peu affirmé…
On comprend alors assez mal
que les héritiers Thatcher se
plaignent d’irrespect envers l’ex-boss
de Grande-Bretagne, au
point de crier au scandale, tant la
réalisatrice Phyllidia Lloyd – responsable
par ailleurs d’une mise
à l’écran des aventures extraordinairement
kitsch du groupe Abba
– mais aussi la scénariste Abi Morgan,
qu’on a connue récemment plus inspirée sur le script de Shame réalisé par le plasticien
Steve Mac Queen, s’avèrent clémentes envers leur
personnage principal.
Certes, Margaret Thatcher, MT comme l’appellent affectueusement
ses proches à l’écran, 87 ans aux prunes, souffrant
d’alzheimer, n’apparaît pas comme étant aussi « juicy » que
par le passé. Tantôt Mamie Nova, victime d’hallucinations qui
la font converser avec son mari décédé, tantôt Tatie Danielle
tentant, tant bien que mal, de gérer son penchant certain
pour la gnôle, la vieille, régulièrement en mode parano, débloque
le plus clair du temps. Un choix de scénario qui la
rend finalement plutôt sympa, et qui permet de justifier autant
de fois que nécessaire les flashbacks des petits et grands
événements de sa vie personnelle et politique… À cet égard,
la présence aux côtés de Meryl Streep, tout de même scotchante
en mode Thatcher, de la « funny face » de Jim Broadbent,
rendrait cette miss Maggie-là un peu plus soft encore.
Une Maggie cool, donc, malgré ce qui est présenté comme
des dégâts collatéraux d’un choix de redressement économique
et politique. Les mineurs en lutte contre les fermetures
de puits ? Dix secondes d’archives
accompagnées d’un titre punkrock
! Bobby Sands et les grévistes
de la faim irlandais ? Idem. Par
contre l’attentat du Grand Hôtel
de Brighton, dont Thatcher était la
cible, bénéficie d’une reconstitution
hyperréaliste.
Finalement, plus que nous éclairer
sur le règne de Thatcher en Grande-
Bretagne et les conséquences
dramatiques de sa politique néoconservatrice,
The Iron Lady nous
offre un miroir dans lequel pourraient
se refléter toutes les Dames
de Fer politiques ! Car ce qui ressort
du personnage du film, c’est
sa capacité à utiliser systématiquement,
sans craindre ni la mauvaise
foi ni le cynisme, tant l’argument féministe face à tous ceux, masculins forcément, qui s’opposent
aux décisions de la cheftaine, que du statut de mère
courage compatissante, (comme lors de la guerre des Malouines),
ou encore de la disqualification des états-majors
politiques au motif de ne pas connaître le prix du beurre ou
de la margarine…
Arrivé alors à ce point de notre réflexion, on songe avec frayeur
à la possibilité, révélée par le film, que Margaret Thatcher ait pu
avoir servi de modèle, non pas tant à Angela Merkel ou à Nadine
Morano… qu’à Ségolène Royal,
par exemple ! Il ne manquerait plus
que ce The Iron Lady, très sentimental
et bien peu politique, ne soit
le déclencheur de quelques vocations
pour qu’il faille le passer alors
de la catégorie des biopics à celles
des films d’épouvante.


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