La Tunisie poursuit son processus
de transition. Alors que les révolutions
arabes ont subi, mi-mars,
des répressions violentes, Tunis
tend à devenir un laboratoire des
possibles. Les acteurs traditionnels y apparaissent
en difficulté mais la rue veille…
Le pays où tout a commencé sera-t-il le premier
à instaurer un nouveau modèle de régime dans
la région ? Alors que ses voisins sont au coeur
d’enjeux stratégiques (pétrole pour la Libye et
l’Algérie, centralité de l’Egypte dans la question
palestinienne) qui pèsent lourd sur les processus
de transformation en cours, la Tunisie
échappe à ces pressions. Capitale du plus petit
pays du Maghreb, sans richesses naturelles
importantes, Tunis est devenu, dans le fracas
des révolutions arabes, le lieu où s’échafaude
l’après-dictature.
« Dégage ! » Longtemps après le départ de Ben
Ali, le 14 janvier, ce cri a continué de résonner
sur l’avenue Habib Bourguiba, poumon de la
mobilisation populaire à Tunis. Boris Boillon,
jeune ambassadeur français arrogant ? Dégage !
Mohamed Ghannouchi, premier ministre du
gouvernement de transition après avoir été celui
du dictateur déchu ? Dégage ! Si le premier
est resté en poste, le second a fini par partir.
Le 27 février, cédant à la pression populaire,
Ghannouchi a démissionné, remplacé par Béji
Caïd Essebsi, 84 ans, un ancien ministre de
Bourguiba. L’organisation d’élections le 24 juillet
pour une Assemblée constituante a aussitôt
été annoncée. Selon le président Fouad Mebazaa,
la nouvelle constitution devra être « le miroir
des aspirations du peuple et des principes de
la révolution ». Un nouveau code électoral devait
avoir été adopté fin mars.
La vraie légitimité
Une constituante et la réforme rapide du code
électoral, soit deux des revendications principales
de la rue. Mais qui est cette « rue » tunisienne
capable de se faire entendre et de déboulonner
un par un les dirigeants qu’elle juge illégitimes ? « Les seuls qui peuvent se dire représentatifs de la révolution tunisienne sont
les gens de Gafsa, de Sidi Bouzid et les jeunes
Facebook. C’est eux seuls qui ont fait partir Ben
Ali », répond Bochra Bel Haj Hmida, de l’Association
tunisienne des femmes démocrates.
De fait, c’est eux qui, bravant les forces de
l’ordre, se sont massés à plusieurs reprises sur
la Kasbah jusqu’à obtenir gain de cause. Leur
mouvement n’a pas faibli, rappelant sans cesse
à ceux qui se laissaient griser par les joutes politiques
que les véritables défis de la transition
sont ailleurs : endiguement du chômage, réduction
des disparités économique et sociales dans
les régions de l’intérieur, lutte contre l’insécurité,
relance du tourisme, mise en place d’une justice
transitionnelle (lire par ailleurs)
Des enjeux face auxquels les partis traditionnels
peinent à formuler des propositions économiques
et sociales à la hauteur. Il est vrai qu’ils
sont soit en voie de désagrégation (le RCD de
Ben Ali), soit discrédités par leur ancien statut
d’« opposition légale » (Ettajdid – l’ex-PC tunisien
– et le PDP), ou affaiblis par des années de
marginalisation (les islamistes d’Ennahda).
L’« alliance » inédite
Quant à l’UGTT, centrale syndicale qui pendant
vingt ans, a « collaboré avec le régime Ben Ali,
en faisant le choix de démissionner des revendications
citoyennes pour obtenir plus sur celles
du travail », comme le résume un de ses syndicalistes,
son positionnement n’est pas facile à
lire. Très vite après le 14 janvier, la direction s’est
rangée contre le gouvernement de transition.
Si elle apparaît opportuniste, cette posture fait
pourtant bien écho à la réalité contradictoire de
l’organisation, forte de 500 000 adhérents : si la
tête de l’UG TT s’est compromise avec le régime
benaliste, ses cellules locales ont, elles, joué un
rôle prépondérant dans la révolution en aidant
le mouvement populaire à se structurer, dès le
début du soulèvement.
Dans ce champ socio-politique éclaté par vingt trois
ans de dictature, un Conseil national de
protection de la révolution (CNPR) rassemblant
28 partis, associations et organisations a vu le
jour le 11 février. Mais sa volonté d’exercer une
véritable tutelle sur le gouvernement provisoire a
été mal comprise et a provoqué des suspicions au
sein d’un mouvement soucieux de ne pas se faire
confisquer « sa » révolution. Le CNPR n’a pas fait
masse. Reste l’armée. Fin février, les soldats ont
accepté de ne pas quitter la place de la Kasbah
pour protéger les manifestants contre d’éventuelles
– et probables – agressions policières.
Une « alliance » inédite avec le peuple – vue aussi
en Egypte. Durera-t-elle, à quelles conditions,
sur quel agenda et avec quels résultats ? Encore
un matériau à travailler dans le labo tunisien des
révolutions arabes.




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