La révolution du monde arabe va-telle
bouleverser nos représentations
et nos stratégies pour faire
vivre les valeurs laïques et féministes
? Elle est un joli pied de nez
à tous ceux qui pensent que la liberté et l’égalité
appartiennent à l’Occident. La Tunisienne Hélé
Béji publie chez Gallimard un essai stimulant,
au titre provocateur : Islam Pride. Derrière le
voile. Fondatrice du Collège international de
Tunis et spécialiste des questions postcoloniales,
l’auteure cherche la voie, la stratégie la
plus juste, pour que les femmes voilées n’aient
plus envie de l’être.
En s’efforçant d’oublier ses préjugés, elle
cherche d’abord à comprendre. Hélé Béji réfute
l’idée que le voile signerait la résurgence d’un
monde arriéré. Elle y voit plutôt une critique de la
modernité vécue comme une oppression, en raison
du délitement des liens ou de l’obsession de
la consommation. Ce voile fonctionnerait comme
refuge. Et il s’insère à merveille dans l’ère du
« C’est mon choix », où chacun doit exhiber son
identité. Pour Hélé Béji, « le voile n’est pas un
lambeau du passé, mais le bandeau de l’opposition
à la maltraitance des musulmans ». Car,
poursuit l’auteure, « l’islam fait désormais partie
de la conscience moderne, mais celle-ci ne l’accepte
pas. Le voile est une protestation contre
ce refus. » Du coup, explique-t-elle, « toutes les
attaques que les femmes voilées essuient les
enferment davantage dans leur entêtement » :
elles font d’elles des martyrs.
Et pourtant, le voile « en se plaçant dans un tel
éloignement, dans une coupure si radicale de la
condition féminine (…) bloque tout mouvement
d’identification et de sympathie ». Au fond, le
voile est une illusion : avec lui, il n’y a pas d’issue
face aux injustices, au racisme ou aux failles de
la démocratie.
Hélé Béji veut se donner la possibilité de
convaincre : « Si je veux démontrer à ces
femmes voilées qu’elles se trompent, je ne peux
me dérober à un débat de fond. “Ma” liberté
n’est pas le modèle irréfutable de “la” liberté,
car elle procéderait d’un raisonnement totalitaire,
qui sera combattu avec une obstination
adverse. » Peut-on imposer la liberté par la force,
la contrainte ? « Le dirigisme moral conduit à la
tyrannie », dit-elle. Il faut donc faire crédit aux
femmes voilées de leur libre arbitre pour s’adresser
à elle franchement.
Jusqu’ici, les féministes s’étaient toujours montrées
solidaires des femmes opprimées. Sur le
voile, Hélé Béji note une sorte de rupture dans
la démarche émancipatrice pacifique des féministes
: des femmes, pourtant jugées aliénées,
se trouvent rejetées. Ce livre ouvre un débat que
la pensée dominante voudrait verrouiller.


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