Ma maison à tout prix (4) – Acheter, un projet à haut risque

Acheter sa résidence principale
est le type même
du conseil « bon père de
famille » donné à un jeune
entrant dans la vie. Pourtant,
le financement d’un bien immobilier est plus
périlleux qu’il n’y paraît.

Plutôt que de dépenser de l’argent à perte dans
des locations, en faisant les affaires d’un bailleur
privé, n’est-il pas plus sage d’acheter son logement
et de le financer sur quelques années?
Une fois l’emprunt remboursé, l’heureux propriétaire
n’aura plus à dépenser pour se loger et
aura la garantie de « disposer d’un toit ».

Pourtant, à y regarder de plus près, cette opération
est moins anodine qu’il
n’y paraît. Un acheteur ne
possédant que 20 000 euros
va emprunter 180 000 euros
pour acquérir un appartement
de 200 000 euros. Si le marché
immobilier perd 20 %, son
appartement ne vaudra plus
que 160 000 euros : non seulement il aura perdu
ses économies mais il risque de devoir à sa
banque plus que la valeur de son appartement.

Krachs immobiliers

C’est un produit financier avec effet de levier :
comme lorsqu’on emprunte pour acheter des
actions afin de démultiplier ses gains en bourse.
Côté pile, on gagne beaucoup, plus que sa
mise. Côté face, on a tout perdu et il est possible
qu’on ne puisse plus rembourser. Mais ce
n’est pas la même chose, rétorquera-t-on au
Café du commerce, « la bourse, ça va, ça vient »
alors que « l’immobilier, c’est du solide, ça peut
pas baisser ». Vraiment?

L’histoire nous montre le contraire. En 2005,
l’immobilier résidentiel japonais affichait une
décote de 65 % par rapport au début des années
1990. En Europe, lors du krach des années
1990, des baisses de l’ordre de 50 % ont
été observées en Finlande et aux Pays-Bas. En
France, à la même période, les prix de l’immobilier
résidentiel ont reculé de 18 %. Dans tous
ces cas, de nombreux « heureux » propriétaires
se retrouvent dans l’impossibilité de vendre leur
bien immobilier à moins d’être brusquement
endettés vis-à-vis de leur banque. Est-ce cela la
liberté du propriétaire ?
Les krachs immobiliers ne sont pas sans répercussions
sur l’économie : en
cas d’insolvabilité de certains
emprunteurs, la viabilité
des banques peut être en
cause du fait de la dépréciation
des créances. Au Japon,
la restructuration du secteur
bancaire a été le feuilleton
à répétition des années 1990. C’est actuellement
le cas avec l’Irlande où l’Etat a dû renflouer
son secteur bancaire et avec l’Espagne qui doit
fusionner 45 caisses d’épargne en difficulté
en 18 nouvelles entités.

Aux Etats-Unis, on ne fait jamais les choses à moitié. Les créances
hypothécaires ont été commercialisées dans
l’ensemble de la planète financière sous forme
d’obligations à haut rendement : la baisse de
l’immobilier – de 33 % entre 2007 et 2009 –
a plongé l’économie mondiale dans la récession.
Non seulement, l’achat avec prêt hypothécaire
est un produit financier, mais un des plus nocifs, ceux qui se négocient « de gré à gré », « over the counter » comme on dit aussi, ceux
dans lesquels le risque systémique de contrepartie
est omniprésent.

Comment expliquer que l’acquisition d’un logement
demeure si évidente ? Il suffit de laisser
naître une promesse implicite qui n’engage que
ceux qui la croient : l’immobilier, ça ne peut pas
baisser. S’il baisse modérément, ce sont les emprunteurs
qui payent la note. S’il baisse brutalement,
c’est le système bancaire qui est menacé
et avec lui, l’ensemble de l’économie. On peut
alors avoir le sentiment diffus que les dés sont
pipés et que les gouvernements s’arrangeront
toujours pour que la tendance de l’immobilier
reste haussière : sur le moyen terme, le risque
serait donc nul…
Comment obtenir une élévation continue des
prix de l’immobilier si ce n’est par la rareté ?
Pour faire face à la croissance démographique,
le gouvernement affiche un objectif de construction
de 500 000 logements par an. Selon l’économiste
Michel Mouillart, « l’insuffisance de
la construction devrait représenter a minima
150 000 logements pour les seules années
2008 et 2009
». Cette différence pourrait être
comblée par les pouvoirs publics mais, comme
le relève la Fondation Abbé Pierre, « 1,2 million
de demandeurs de logements sociaux sont actuellement
en attente d’une réponse
».

Une enquête réalisée à la demande de Nexity
début 2009 montre que 80 % des Français estiment
qu’il est aujourd’hui difficile de trouver un
logement. Le SDF du coin de la rue qui, faute
d’une adresse valide, est définitivement exclu de
l’emploi, l’individu qui peine à se chauffer l’hiver
tant son loyer est élevé, la famille qui est obligée
de s’entasser dans un logement exigu compromettant
l’avenir scolaire des enfants, sont-ils
les prix à payer, réels ceux-là, du rêve de cette
France de propriétaires aujourd’hui tant vantée ?

Eloge de la valeur d’usage

Selon l’Insee, les prix dans l’ancien ont été multipliés
par 2,5 entre 1998 et 2008. Cette hausse
de la valeur des biens immobiliers n’est pas
sans incidence sur le prix des loyers. La Fondation
Abbé Pierre relève que les dépenses liées
au logement représentent aujourd’hui 38 % du
budget des classes moyennes contre 21 % en
1979. Pour les couches populaires, cette part
aurait doublé passant de 24 % à 48 %.
Si le prix d’un appartement est passé en dix ans
de 50 000 à 125 000 euros, cela ne change rien
pour ses occupants : c’est toujours le même
bien. Si le ménage propriétaire doit vendre pour
en racheter un plus grand, à l’arrivée des enfants
par exemple, il sera alors confronté aux mêmes
problèmes que les primo-accédants et cette
hausse des prix lui sera préjudiciable. Cette
promotion tous azimuts du logement-valeur
d’échange ne peut gommer et remplacer la valeur
d’usage, la seule qui ait un sens pour garantir
à tous une habitation décente, droit humain
fondamental d’une société qui se veut civilisée.

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