Ivry-sur-Seine (94), le quartier Gagarine-
Truillot est appelé à se transformer.
Les HLM doivent être détruits et
réhabilités. Mais une copropriété privée,
habitée par des classes moyennes
et populaires, n’y aura pas droit. Que va-t-il
se passer pour eux ? La question se pose
dans de nombreux quartiers populaires.
A première vue, rien ne différencie les deux ensembles.
D’un côté, la Cité Gagarine, une barre
en « T » flanquée de deux extensions : 650 logements
sociaux au total. De l’autre, la résidence
Ivry-Raspail et ses trois bâtiments. Ici, ce sont
420 copropriétaires, « des gens pas très fortunés
et cosmopolites, à l’image d’Ivry », glisse
un habitant.
D’ici quelques années, ces copropriétaires et
leurs immeubles vétustes seront entourés par un
tout nouveau quartier. Les barres insalubres de
Gagarine seront détruites et de nouveaux bâtiments,
modernes, moins hauts sortiront de terre.
La municipalité communiste, l’Office public de
l’habitat d’Ivry et l’Agence nationale pour le renouvellement
urbain se sont engagés dans ce
projet de réhabilitation de « plusieurs dizaines de millions d’euros », indique Jean-François Lorès,
le directeur du développement urbain d’Ivry.
Mais rien de prévu pour la copropriété voisine.
Le dernier ravalement remonte déjà à 1986. Ces
propriétaires n’en ont pas encore conscience,
mais ils pourraient bien être assis sur une bombe
à retardement. Leur immeuble, une « verrue »
architecturale dans ce nouveau quartier, risque
fort de se délabrer s’ils n’ont pas les moyens de
l’entretenir, sans pouvoir compter sur les pouvoirs
publics.
Pour l’instant, bien sûr, on n’en est pas là. Au
contraire, les propriétaires sont plutôt contents
de leur habitat, et des plus-values déjà réalisées.
Ivry se transforme, attire de nouveaux habitants,
des entreprises aussi. Un appartement de trois
pièces acheté 100 000 euros il y a dix ans, se
revend aujourd’hui 185 000 euros.
A 85 ans, Antoinette (1) se souvient que ce n’était
pas ce qui primait quand elle a acheté. « On était
propriétaire pour pas grand-chose. La mairie
avait vendu le terrain à des promoteurs à condition
qu’ils s’engagent à construire solide et pas
cher. C’est comme ça qu’on a pu acheter avec
mon mari, en 1964. »
Elle juge sa résidence en bon état. « Oui, c’est
forcément dégradé avec le temps, mais c’est
entretenu, il y a deux couples de gardiens qui
s’occupent de tout, c’est propre. » Si l’extérieur
est délabré, l’intérieur est encore bien conservé :
les couloirs sont régulièrement nettoyés, les ascenseurs
fonctionnent, les cafards apparus il y a
cinq ans, ont disparu après traitement.
« Trouver l’argent »
Pourtant, Antoinette le reconnaît : « L’entretien
est difficile à gérer et c’est très mal isolé. Nous
allons sans doute devoir faire une isolation par
l’extérieur. Il va falloir trouver l’argent. » Car avoir
un appartement en copropriété coûte cher. Outre
les charges pour les ascenseurs, les gardiens, le
fioul, l’eau (700 euros par trimestre pour un F5),
il faut aussi considérer la taxe foncière, les travaux
de rénovation votés en assemblée générale
et auxquels les copropriétaires sont légalement
contraints de participer.
Si Antoinette dit plutôt bien s’en sortir « avec
une retraite convenable », pour d’autres c’est
plus dur. « Nous avons beaucoup d’impayés
de charges de copropriété depuis une dizaine
d’années, raconte Joseph, copropriétaire depuis
1986. Des gens qui ne peuvent pas payer, qui
sont en difficulté, et d’autres, une minorité, qui
sont des professionnels de l’impayé. Le syndicat
de copropriété nous a annoncé qu’il était au
bord de la faillite. »
Comment alors imaginer que tous les copropriétaires
puissent financer une réhabilitation
totale ? « Etant donné le nombre d’impayés
de charges d’immeuble, je ne pense pas que
le syndic pourra faire de gros travaux. Sans
compter que, quand il y a des impayés, ce sont les autres copropriétaires qui doivent payer »,
explique Sylvain Holcman, agent immobilier au
cabinet Nicolas, qui a déjà vendu plusieurs appartements
dans la résidence.
Expulsions
Certains habitants, plus conscients de l’enjeu,
considèrent leur choix. « Il va falloir qu’on
s’adapte. Soit on ne fait rien et les bâtiments
vont encore se dégrader, soit on vote des travaux
et les gens vont devoir payer, mais on valorise
nos biens », confie un propriétaire. Le phénomène
serait classique : avec ce nouveau quartier,
le foncier prend de la valeur, les copropriétaires
pourront vendre plus cher. De nouvelles classes
sociales privilégiées avec plus de revenus arrivent
et refont tout. Finie la mixité sociale.
Autre scénario : les copropriétaires les moins fortunés
ne peuvent pas supporter le coût de la mise
aux normes. Petit à petit, ils doivent partir, se font
expulser. La question se pose déjà. « A l’assemblée
générale, on a déjà voté pour vendre aux
enchères l’appartement d’un copropriétaire qui
ne pouvait plus payer les charges. On a dit non »,
raconte Yvette, propriétaire de longue date. Mais
pourront-ils toujours dire non’
Ailleurs, des copropriétés virent au drame.
A Clichy-sous-Bois (93), les résidences Chêne-
Pointu et Etoile du Chêne-Pointu, 1 500 logements,
sont depuis six ans sous administration
judiciaire. Criblées de dettes, les copropriétés
n’ont pas été entretenues : infiltration, fuites
d’eau, charges exorbitantes pour les habitants.
Ceux qui rêvaient d’un logement bien à eux ont
dû frapper à la porte de l’Etat pour engager les
travaux nécessaires.
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