Pourquoi avez-vous acheté ? La question semble stupide tant le statut de propriétaire paraît enviable. Les réponses laissent surtout apparaître une immense inquiétude quant à l’avenir.
« Acheter, pour quoi faire ? » dit en substance Martine, retraitée. « J’ai 65 ans et je n’ai jamais été propriétaire. J’ai toujours travaillé et mon job m’a assuré des revenus confortables. Avec mon premier mari, alors que j’avais deux enfants à charge nous avions un mode de vie aisé. Mon second mariage a renforcé cette position privilégiée. Longtemps nous avons disposé de l’équivalent de 10 000 euros par mois. Jamais le logement ne s’est posé comme un problème. Les logements se succédaient au gré de nos envies et de nos besoins. Nous louons même notre maison de campagne. »
Seulement voilà, les temps ont changé. Le logement pèse quatre fois plus lourd dans les finances des trentenaires de 2011 qu’il ne pesait dans celles de leurs parents. Et même le marché de la location est devenu fou.
« Dès que j’ai commencé à bosser, j’ai ressenti le besoin d’acheter un appart », explique Sylvain, 34 ans, commercial. « Pourquoi enrichir un propriétaire ? » argumente-t-il. Cette réponse-là, nous l’avons entendue maintes fois en cherchant à comprendre ce qui motive l’achat d’un logement. Mais encore ? « Même si j’ai un boulot stable et que je gagne correctement ma vie, 2 000 euros avec 500 ou 600 euros de primes par mois, j’ai le sentiment d’être né avec l’incertitude du lendemain, analyse Sylvain. Je n’ai jamais cru à ma retraite et me suis toujours dit que je pouvais me retrouver dans la merde du jour au lendemain. »
L’angoisse du lendemain
Les témoignages sont souvent unanimes. Pour Pauline, dix ans de moins et jeune mariée, la chose ne fait aucun doute. Elle achètera dès que possible un logement en proche périphérie parisienne. Le contexte économique oblige à regarder très loin : « Dans vingt-cinq ans, j’aurai un logement qui m’appartiendra, se projette t- elle. Je ne veux pas me retrouver dans la situation de mes beaux-parents qui, par choix, n’ont jamais acheté. A la retraite, ils seront obligés de déménager parce qu’ils n’auront plus les revenus suffisants pour conserver leur maison. »
L’angoisse du lendemain intervient même chez ceux qui ne se sentaient pas l’âme d’un propriétaire. C’est le cas de Sandra, 42 ans, comédienne et intermittente du spectacle : « Je voyais l’achat comme un enterrement de première classe ! J’ai fait pas mal de colocs, beaucoup de déménagements et ça m’a toujours plu. J’ai changé d’avis il y a deux ans, pour des raisons matérielles. Je me suis dit que j’allais me retrouver dans une merde noire à 50 ans, obligée de courir le cacheton, incapable de me loger. »
Jonas, 30 ans, entre aussi dans la catégorie des acheteurs contraints. Venu d’une petite ville du sud-est de la France pour travailler à Paris, il est salarié d’une association et gagne 1 400 euros par mois. « Avec mon revenu, j’étais persuadé que j’allais avoir un logement social. C’était il y a cinq ans et j’étais un peu naïf ! Alors j’ai tenté de louer, mais mon dossier était trop mauvais, on me demandait des garanties incroyables et de toutes façons mon salaire était trop faible. »
Seule solution, l’achat d’un 20 m2, « bien trop petit » quand on vient d’un endroit où on ne compte pas les mètres carrés.
Solidarité familiale
Nombre de jeunes propriétaires ont bénéficié de la solidarité familiale, les parents ayant souvent fait au cours de leur vie une formidable plus-value
immobilière, conséquence d’un marché devenu déraisonnable. Ainsi, Irène, 30 ans, propriétaire avec ses soeurs d’un appartement acheté 800 000 francs en 1999 par leur grand-mère et qui vaut aujourd’hui quatre fois plus. « Elle nous
a fait cette donation parce qu’on galérait toutes pour se loger, raconte-t-elle. Si ma grand-mère n’avait pas fait ça, je serais incapable d’acheter mon logement, comme je compte le faire. » De même pour Alice, 37 ans. « J’ai acheté un appartement en 2004 parce que mes parents m’ont donné une grosse somme d’argent qui devait être investie dans l’achat d’un logement. Je
pensais ne jamais devenir propriétaire. Je m’en foutais. Je me suis même engueulée avec eux, parce qu’acheter un appartement impliquait une
stabilité de vie, un boulot salarié… »
Réfractaire
Aline, qui habite elle aussi dans un appartement en plein Paris, inenvisageable sans la solidarité de la famille, aurait préféré « bien gagner (sa) vie et acheter (elle)-même (son) appartement. Ce n’est pas comme ça que j’avais envisagé les choses quand j’avais 25 ans. »
Lionel, enfin, est ingénieur à Paris. A 40 ans, il a un emploi stable et bien rémunéré (3 500 euros) depuis quinze ans et a toujours vécu en location.
Parmi la vingtaine de personnes interviewées pour cet article, il est le seul qui soit tout à fait réfractaire à l’idée d’acheter. Il n’a « pas envie de posséder ». « Mes richesses se limitent à un lit et un ordinateur et ça me libère l’esprit.
Je claque tout en sorties, je loue une voiture quand j’en ai besoin, je fais du Vélib’, je vais en vacances à l’hôtel ou chez des copains… Mais j’ai conscience que, paradoxalement, ne rien posséder, c’est un mode de vie de privilégié. »
Laisser un commentaire