Immobilier, pas de quartier pour les pauvres

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L’immobilier n’est pas seulement une poule aux oeufs d’or pour les spéculateurs. La presse magazine en fait ses choux gras, tout en vidant soigneusement la substance politique d’un vrai sujet de société : le logement.

Les francs-maçons, l’immobilier, le palmarès des hôpitaux ou des meilleurs lycées de France sont des marronniers. Autrement dit, des sujets qui reviennent régulièrement. Dans ces obsessions journalistiques, l’immobilier occupe une place toute particulière. Le cours de la pierre échappe à toute saisonnalité, comme les tomates et les fraises sur les étals des commerçants. Et le lecteur a intérêt à avoir faim. Le Nouvel Observateur, Le Point et L’Express y consacrent un hors-série une fois par an. Ce n’est pas tout, loin s’en faut. Ils y reviennent au cours de l’année, souvent en Une. La sortie de l’un provoque en cascade la sortie des autres, tant la concurrence est rude entre les trois « news ». De même, Capital, Le Figaro magazine ou Challenge sont des habitués de l’exercice. Les quotidiens, enfin, y sacrifient régulièrement, Le Parisien en tête.

Meilleures ventes de l’année

Ces Unes sur le cours de la pierre sont évidemment plus guidés par un appétit commercial que par une nécessité éditoriale. Les chiffres sont là. Le « spécial immobilier 2009 » de L’Express s’est vendu en kiosque à 129 000 exemplaires et 107 000 pour le Nouvel Obs . Dans les deux cas, il s’agit des meilleures ventes de l’année pour chacun des titres. Alors pourquoi se priver d’en user et abuser tout au long de l’année ?

Seulement voilà. De quoi parlent-ils ? Un rapide coup d’oeil sur quelques Unes donne des éléments de réponse. D’abord, l’apport journalistique, avec scoops et enquête : « Immobilier, les vrais prix du marché ». Puis la plus-value pratique : « Prix, taux, fiscalité, c’est le moment d’acheter ». Ou encore le très exhaustif « Tous les prix, quartier par quartier ». Au coeur du propos, comment acheter ou vendre un bien.

Ces grandes publications de tradition critique et engagée, expurgent toute la portée politique et sociétale de la question. Les mots sont importants, on parle immobilier, et non logement. Droit au logement opposable bafoué, outils de régulation des prix du marché, proportion de logements sociaux non respectée dans les communes… Les sujets ne manquent pas mais seraient nettement moins vendeurs pour la cible des trois hebdos.

Prenons L’Express , par exemple, qui n’est pas peu fier de son lectorat et le vante dans un document destiné aux annonceurs intitulé « Vous faites bien de communiquer dans L’Express ». Le lecteur moyen a 48 ans et c’est une bonne chose, car il est solvable et se vend plus cher aux annonceurs. L’hebdomadaire se vante dans ce document d’être « le plus qualifié des News », entendez par là que ses lecteurs sont les plus diplômés, soit 27 % de cadres sup. Il est également numéro un sur les cibles « premium ».

Pour ceux qui, contrairement à Christophe Barbier, le patron de L’Express , n’ont pas fait d’école de commerce, une cible « premium » est un lecteur qui a du fric, une cible de choix, donc. Et d’annoncer fièrement sa progression annuelle : 11,2 % de plus sur les CSP+ ; + 10,9 % sur les cadres sup’, + 7,3 % sur les lecteurs qui émargent à plus de 48 000 euros de revenus annuels.

Un cynisme total

Au total, L’Express est « une marque » en pleine progression avec 57 % de lecteurs internautes en plus cette année, soit 10 millions d’individus « consommant la marque » chaque mois. Rien dans le document sur le lecteur peu diplômé ou qui n’a pas le sou. Rappelons qu’en Ile-de-France, un tout petit tiers de la population peut prétendre à l’acquisition de son logement (1). Le privilégié a beau être minoritaire, c’est lui qui donne l’inflexion décisive quant à la ligne éditoriale. Parfois avec un cynisme total. Ainsi, Le Figaro magazine , dans un énième spécial immobilier titrait crânement : « Comment profiter de la crise ». Tout est dit.

Rémi Douat

(1) Selon l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la région d’Ile-de-France (Iaurif).

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