M6: ne l’appelons plus la petite

Pour beaucoup, M6 est  » la petite chaîne qui monte  » au firmament médiatique. Née dans une zone d’ombre avec un bien modeste programme (20% seulement de la population française pouvait la recevoir), elle est devenue la deuxième chaîne pour les téléspectateurs de moins de 35 ans, avec une part de marché publicitaire qui atteint 16,7%. Pour commenter cette réussite, on parle fréquemment d’une politique originale de programmation où se distinguent notamment les émissions comme  » Capital « ,  » Zone interdite « ,  » E = M6 « ,  » Culture Pub  » et où rayonnent d’emballantes animatrices comme la malicieuse Olivia Adriaco, agitée dans tous les sens pour servir, comme il se doit, la Hot Forme. Il faut dire qu’il y a du rythme sur la chaîne: la zizique en vogue déferle et plie le programme à sa cadence.

Pour l’info, tout est réglé en six minutes car c’est au-delà du réel que se gagne l’audience, même au risque d’une récupération de la série culte  » X Files  » par le Front national (Libération du 14 décembre 1996). A sa manière,  » la petite  » a su mettre les pieds dans le PAF pour se donner l’image d’un contre-courant, adoptée par beaucoup de monde. Paradoxalement, c’est la célébration de son dixième anniversaire qui vient mettre en lumière sa vraie nature d’entreprise à l’appétit sans bornes; avec 355 millions de francs de bénéfice net estimé en 1996, M6 a la plus forte rentabilité du paysage audiovisuel français. Jean Drucker, le p.-d.g., répand la bonne nouvelle à l’aide des courbes de son groupe en plein essor, où les activités de diversification et la montée en puissance des produits dérivés réalisent 17,6% du chiffre d’affaires. Ce patron n’est qu’un patron ordinaire de son époque qui se soucie plus de produire que de transmettre… Sous cet angle, la télé de proximité ne le laisse pas indifférent, car les infos locales au ras du quotidien ont un public nombreux et fidèle qui aimante forcément les publicitaires. En 1995, les annonceurs ont déclaré avoir dépensé 49 milliards pour atteindre des cibles locales, soit 33% des dépenses publicitaires totales (1).

Cette manne l’attire en région et c’est pour elle seule que M6 se mêle de fournir les informations. Aujourd’hui, la chaîne compte une dizaine de décrochages sur des grandes villes, comme Marseille ou Nantes, et comme l’appétit vient toujours en mangeant,  » la petite  » a cherché, dernièrement, à tirer profit des modifications de la loi de 1986 sur la liberté de communication; elle souhaitait tout simplement diffuser de la publicité nationale dans ses activités locales et étendre son influence sur d’autres bassins: une envie manifeste d’hégémonie.

En dehors de quotidiens régionaux, l’opposition est surtout venue de la Générale des Eaux, à deux doigts de fermer ses deux télévisions locales (à Toulouse et à Lyon) en raison de la prévisible perte critique de recettes qui en découlerait. Mais, cet affrontement n’est qu’une des péripéties visibles des grandes manoeuvres qui opposent deux puissants marchands d’eau, toujours soucieux du débit; la Générale des Eaux, gros actionnaire du groupe Havas (30%) (2) et la Lyonnaise des Eaux, un des patrons de M6 mais actionnaire très minoritaire du groupe Havas (moins de 1%) (3). Pour le moment, le projet de  » la petite  » est gelé et un groupe de réflexion, composé de représentants de la presse écrite comme de l’audiovisuel ainsi que de parlementaires et de représentants des ministères concernés, travaille sur les conséquences de sa mise en pratique. En tout cas, s’il voit le jour sous cette forme ou bien sous une autre, la presse, la radio et la télévision locales subiront de sérieuses secousses avec à la clé le risque d’un effondrement de la qualité du service… Face à l’irruption dans le paysage audiovisuel local de chasseurs de primes, sans mission de service public, il est vital, pour préserver les intérêts pluriels de ceux qui aiment leur milieu, de penser un élargissement des missions régionales de FR3.

1. Etude France Pub, réalisée par Havas sur l’année 1995.

2. Voir plus loin l’article  » Transactions  »

3. Le président de la Lyonnaise, Jérôme Monod, a démissionné du conseil d’administration du groupe Havas pour protester contre le sort fait aux minoritaires dans l’accord conclu entre la Générale des Eaux et Havas.

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