Annick Coupé (Solidaires) et Olivier Ferrand (Terra Nova) s’opposent sur la question du recul de l’âge de la retraite. Tous deux s’accordent cependant à dire que la réforme du système devrait être précédée d’une amélioration du marché du travail
.
Est-ce que le vieillissement de la population pousse forcément à travailler plus longtemps ?
Annick Coupé . Évidemment non. L’espérance de vie progresse en France depuis plus de deux cents ans et, sur cette même période, les êtres humains ont travaillé de moins en moins longtemps. Dire aujourd’hui, comme une évidence : « Comme on vit plus vieux, il faut travailler plus longtemps », c’est faire fi de l’histoire et du progrès social. Il faut dépasser ce pseudo bon sens et regarder les différents paramètres de l’économie : le temps de travail, à quoi il correspond, ce qu’il permet de produire et comment il est réparti.
Notre système de retraite a été créé après guerre dans une période de plein emploi où on commençait à travailler jeune… Aujourd’hui, il y a moins de travail et plus de précarité. Cela ne change-t-il pas la donne ?
.
Annick Coupé . La question qu’il faut se poser c’est : pourquoi il y a moins de travail disponible ? Les gains de productivité ont continué à augmenter de façon très importante et ils n’ont pas été répartis comme il fallait pour assurer un travail pour chacun et dans de bonnes conditions… Il ne faut pas examiner un aspect sans regarder les autres éléments du contexte.
Olivier Ferrand . Les évolutions démographiques poussent en effet à travailler plus longtemps. On ne peut pas continuer à recycler tous nos gains d’espérance de vie exclusivement en temps de retraite. Dans les années 1960, l’espérance de vie à la naissance était d’à peine plus de 60 ans, elle est aujourd’hui de 77 ans pour les hommes et de 81 ans pour les femmes, et on vit de mieux en mieux. Donc on voit bien qu’en termes démographiques, on ne peut pas continuer comme ça parce que ce sont les actifs qui payent, à la fois le temps de l’éducation et le temps de retraite. Rappelons qu’il y avait 4 actifs pour 1 retraité en 1960, et moins de 2 pour 1 aujourd’hui, et ça va descendre jusqu’à 1,2.
C’est sans compter les gains de productivité ?
Olivier Ferrand . Il y a de moins en mois de gains de productivité en France. Depuis le début des années 1980, les gains de productivité se sont effondrés par paliers successifs tous les dix ans. Aujourd’hui, nous en sommes à 0,5 %. Donc oui, on peut décider de tout mettre sur la retraite, mais bon…
Donc vous n’êtes pas choqué par l’idée de passer l’âge de la retraite à 62 ans …
Olivier Ferrand . Non, mais la question n’est pas là. C’est la façon d’y aller qui est défaillante. Car si je suis d’accord pour dire qu’en principe il faut augmenter la durée du travail, il faut respecter plusieurs conditions. D’abord, nous sommes dans un processus long. On parle de l’horizon 2050 pour la transition démographique. Aussi l’allongement de la durée du travail ne peut sûrement pas être une réponse à court terme. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites a démontré que la dégradation de la situation financière a été beaucoup plus rapide que prévu à cause de la crise et que l’on a besoin de 40 milliards d’euros à moyen terme, et 20 milliards tout de suite. Ces 20 milliards d’euros, on ne pourra pas les trouver par des mesures d’âge. Il va donc falloir trouver de nouvelles recettes. Le deuxième élément, c’est que si l’allongement de la durée du travail est nécessaire à moyen et long terme, il y a plusieurs façons d’y arriver. La première, c’est en reculant l’âge légal, la deuxième c’est en augmentant la durée de cotisations. Le recul de l’âge légal, choisi par le gouvernement, est affreusement injuste, mais a des effets rapides. La seconde est plus juste mais ne donne de résultats qu’à moyen terme.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour rétablir l’équilibre de ce système ?
Annick Coupé . Je crois que le système de répartition tel qu’il a été construit par le Conseil national de la résistance partait en effet sur l’idée du plein-emploi, mais surtout sur l’idée d’un droit à la retraite pour tous les travailleurs. C’est cette idée fondamentale qu’il faut conserver. C’est un système solidaire : les cotisations des actifs d’aujourd’hui paient les pensions versées aux retraités d’aujourd’hui. Les uns et les autres, retraités et salariés actifs, ont donc un intérêt commun : de bons salaires et le plein-emploi… Ce système permet aussi que les montants des cotisations soient immédiatement redistribués sans aller alimenter la spéculation financière.
La solution est-elle à chercher du côté de la fiscalité ou de la répartition du travail ?
Annick Coupé . Il est évident qu’une des raisons du déficit actuel et dans les années à venir, c’est l’augmentation du chômage due à la crise. Moins d’emploi, plus de chômage, c’est moins de cotisations qui rentrent ! La bonne question à se poser aujourd’hui, même si ça peut paraître provocateur, c’est celle du temps de travail en tant que tel. Au lieu d’augmenter le temps de travail, il vaudrait mieux se demander comment répartir équitablement le volume de travail qui existe dans notre pays. Ce qui exigerait de revoir bien sûr la remise en cause des 35 heures, mais aussi la question du temps partiel… Le choix qui a été fait dans les années 1980 de développer le temps partiel, en particulier pour les femmes, au prétexte de l’articulation harmonieuse entre vie familiale et vie professionnelle, a été une arnaque terrible, dont on voit pleinement les conséquences aujourd’hui.
Terra Nova propose une retraite à la carte. La question de l’âge de la retraite se pose-t-elle différemment suivant les catégories socioprofessionnelles ?
Annick Coupé . Tous les salariés n’ont pas la même vision de leur retraite. Selon le métier, les conditions de travail, l’usure, il peut y avoir des aspirations diverses… Il s’agit ici de la question d’un droit collectif qui garantisse à tous de pouvoir partir à 60 ans dans de bonnes conditions. Je rappelle que l’on peut travailler jusqu’à 70 ans, pour le secteur privé, 65 ans dans la fonction publique, voire plus dans certains cas. L’argument selon lequel il faudrait reporter l’âge légal pour permettre à ceux qui veulent travailler plus longtemps de le faire est un argument fallacieux pour reculer l’âge de départ à la retraite.
Olivier Ferrand . Pour ma part, je pense que si l’on peut demander aux Français de travailler plus, il n’y a aucune raison pour que l’Etat fixe de façon autoritaire la norme pour tous, que ce soit l’âge ou le taux de cotisation. Avant, tout le monde travaillait de la même façon, faisait les même gestes et vivait plus ou moins pareil… C’est fini. Chacun doit pouvoir choisir et arbitrer les grands paramètres de sa retraite. Aujourd’hui, techniquement on sait faire ça, mais le système ne le permet pas.
Et ça ressemblerait à quoi ?
Olivier Ferrand . La Suède, tout en gardant un système par répartition, a créé des comptes personnels. haque citoyen suédois peut ainsi choisir quand il veut partir, avec quel taux de remplacement et aussi choisir son taux de cotisation. Et ce n’est pas qu’un truc de bobos et de cadres ! Non, parce qu’il y a des gens qui veulent travailler plus longtemps parce qu’ils aiment leur job, qu’ils ont une famille recomposée, qu’ils ont des enfants à charge et qu’ils veulent continuer à gagner beaucoup d’argent… A l’inverse, d’autres souhaitent arrêter plus tôt, quitte à toucher moins de retraite. D’autres encore décident de cotiser plus pour accumuler davantage pour la retraite. En France, ce n’est pas possible. Les arbitrages que l’on s’inflige collectivement sont dictés aujourd’hui par le gouvernement, alors que ces arbitrages-là pourraient être décidés individuellement, de manière totalement neutre financièrement pour le système.
Annick Coupé . Le vrai enjeu aujourd’hui c’est de savoir ce que l’on veut faire des richesses produites. Est-ce que l’on veut rééquilibrer leur répartition ? Est-ce qu’on veut plutôt favoriser ce qui est versé aux salariés, sous forme de salaire et de cotisations sociales, et favoriser l’investissement ou au contraire continuer à favoriser les actionnaires ? Il est possible, de mon point de vue, d’améliorer les ressources de la protection sociale, notamment pour le financement des retraites, en augmentant légèrement le taux des cotisations patronales. Il s’agit aussi de faire contribuer les revenus qui y échappent aujourd’hui, comme les stock-options… La question posée est donc bien celle de la part de la richesse produite qui doit aller aux retraites, comme aux salaires… Mais pour faire ce choix, il faut en finir avec le partage injuste de la richesse au profit des revenus financiers.
Ce n’est pas compliqué ?
Annick Coupé . On voit bien que quand on parle de répartition des richesses, on parle aussi bien du temps de travail, que de ce que nous produisons et pour qui. Il me semble que le système qui nous oblige à travailler toujours plus, avec de plus en plus de productivité pour produire n’importe quoi, est un système qui va dans le mur. Il s’agit de repenser le fonctionnement de la société pour satisfaire les besoins fondamentaux du plus grand nombre et non plus d’une minorité !
Olivier Ferrand . Je suis d’accord sur le fait que le préalable à la réforme du système des retraites, c’est l’amélioration du marché du travail. Aujourd’hui l’emploi des seniors est gravement dégradé en France. Seul 30 % d’entre eux sont employés quand ils liquident leur retraite, c’est exceptionnellement bas en Europe. Ce qui veut dire que si l’on n’améliore pas le marché du travail, les mesures d’âge vont seulement transformer de jeunes retraités en vieux chômeurs. C’est absurde, on va juste transférer le déficit du système de retraite vers le système de l’Unédic.
Propos recueillis par Sabrina Kassa
Laisser un commentaire