Amalric, faux cils et vraies larmes

A vec sa Tournée, Prix de la mise en scène, Mathieu Amalric a offert l’un des films les plus originaux de la compétition. Son influence irradie entre la France et les Etats-Unis, de « L’Envers du music-hall » de Colette à « Meurtre d’un bookmaker chinois » de Cassavetes. Pour son quatrième long-métrage (après Mange ta soupe, Le Stade de Wimbledon et La Chose publique), le cinéaste-comédien a recruté une troupe de strip-teaseuses américaines de genre « New Burlesque », qu’il met en scène lors d’une tournée dans des villes provinciales françaises. French Cancan : « Si le Havre vous aime, la France va vous adorer ! », lance le producteur Joachim Zand, interprété par Amalric en personne, à ces femmes girondes et grimées qui se nomment Mimi le Meaux, Dirty Martini, Roky Roulette ou Kitten on the Keys. Le film tient sur une ligne ténue entre réel et fiction, comme dans cet échange de répliques, entre elles, « C’est notre show, ne l’oublie pas », et lui, « Oui, mais c’est mon pays ». Mathieu Amalric nous confie : « Tournée, c’est une histoire de nomade qui traverse une vie de sédentaire »… Entre tatouages et plumes, faux cils et vraies larmes, hôtels de passage et mal du pays, le film invente une mobilité incessante, une fantaisie profonde, une énergie vitale traversée par des moments de grande tristesse : Mimi le Meaux, par exemple, se détachant du groupe dans un train, comme happée par une envie soudaine de sauter par-dessus bord.

C’est l’intimité de ces effeuilleuses qui intéresse la caméra d’Amalric autant que son personnage de fiction, volontiers prévenant, chaperonnant. Les premiers plans les découvrent dans l’alcôve de leur loge, en train de se préparer, de s’enduire les seins de crème. Les numéros sont toujours filmés depuis les coulisses, dans une grande proximité avec leurs corps et leurs mouvements, et jamais depuis la fixité du regard du spectateur théâtral.

Symboliquement ici, le rideau est moins celui de la salle de spectacle que celui de la chambre. Chambre de cet hôtel désaffecté échoué dans les dunes, où Joachim se couche enfin, les lèvres rouges et le visage en larmes, tantôt obscur tantôt lumineux au gré de la lumière intermittente qui perce à travers le rideau. Durant toute la première partie du film, peut-être la plus réussie, la mise en scène travaille cette abolition de la distance du spectacle vivant qu’elle métamorphose en présence cinématographique, en durée intensive.

Deux moments d’intimité soutenue se distinguent : le récit feutré par l’une des comédiennes de sa rencontre d’un soir, scène de sexe ratée dans des toilettes et la rencontre, dans une station-service, entre Joachim et la caissière, pourtant séparés par une épaisse vitre sur une aire d’autoroute. Elle est la seule à accepter de baisser le son de la radio, de satisfaire sa monomanie leitmotiv du film, son rêve d’affranchissement. « Aujourd’hui, dans le monde du travail, la peur est partout. Cela empêche de désobéir. La servilité tétanise tout », raconte Amalric. Ce plein d’essence est un plein de vie, moment volé, flottant, étrange, où le possible prend le pas sur le réel. Dans ce non-lieu uniforme qu’est l’aire d’autoroute, c’est l’uniformité surtout qui en prend un sacré coup. Au début du film, dans le salon d’un hôtel standardisé, une des filles avait renversé son verre sur l’uniforme d’une hôtesse de l’air. Un vent burlesque, pluie de plumes, qui balaie tout sur son passage. And now the show ! Et Cannes à l’année prochaine…

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