Post-Cannes, les films en perspective

Tim Burton, le président du jury du dernier festival de Cannes, a sélectionné pour nous les films à ne pas rater. Au menu : « Oncle Boonmee », « Tournée », « L’Etrange affaire Angélica » et « Des hommes et des Dieux ».

«Merci de m’avoir donné la possibilité de partager avec vous le monde qui est le mien ». Quelle plus belle façon d’exprimer un désir de cinéma, de tracer les contours d’une œuvre à transmettre ? Ces propos ont été prononcés lors de la soirée de clôture par Apichatpong Weerasethakul, auteur d’Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Un titre énigmatique pour la Palme d’or 2010, une palme vraiment en or, point d’orgue de cette soirée alchimique. Le critique en aurait d’ailleurs presque oublié sa vie antérieure cannoise… La puissance de ce film-rêve, situé dans la jungle, peuplé de fantômes et d’animaux sauvages, donne la quintessence de l’excellent palmarès décerné par le président du jury, Tim Burton. Le cinéaste américain a su apporter du relief à une compétition relativement plate, quand elle ne fut pas traversée de pénibles déflagrations, de trous d’air glacés. Apichatpong Weerasethakul, lui, a bien failli ne pas arriver à Cannes depuis sa Thaïlande natale, embrasée par l’opposition entre les chemises rouges et le gouvernement. État d’urgence. Cette année, plus encore que les années précédentes, loin d’être une bulle repliée sur elle-même, le festival de Cannes, d’abord dévasté par un mini tsunami, a répercuté les séismes de l’univers : guerre en Irak (Fair Game de Doug Liman et Route Irish de Ken Loach), crise économique (Wall Street. L’Argent ne dort jamais d’Oliver Stone, Inside Job de Charles Ferguson, et, du côté de la Quinzaine des réalisateurs, Cleveland contre Wall Street de Jean-Stéphane Bron), etc. Ballons de baudruche ? Ce télescopage à Cannes du septième art et de l’actualité a en tout cas été dégonflé par le criant décalage entre la polémique qui a entouré Hors la loi de Rachid Bouchareb, fresque soi-disant brûlante sur la guerre d’Algérie, et la mollesse cinématographique et politique du film. Cinéaste-symbole traversé par le monde entier, Jean-Luc Godard n’a pas hésité à invoquer un problème « de type grec » pour expliquer sa défection… Une autre absence a pesé : celle du réalisateur iranien Jafar Panahi, qui devait faire partie du jury. Opposant au régime de Mahmoud Ahmadinejad, emprisonné depuis le 1er mars dernier, Jafar Panahi a reçu de nombreux soutiens internationaux tout au long du festival, avant d’être libéré sous caution le 25 mai. Lors de la cérémonie d’ouverture, le fauteuil qu’il devait occuper est resté vide. Comment vivre avec les absents ? Comment vivre avec les morts ? Cette question métaphysique (invisible) qu’une caméra se doit de rendre concrète (visible) fut au centre des plus beaux films de la sélection officielle, ceux qui justement échappent à la morbidité vomitive d’Iñárritu (Biutiful) ou de Mandruczo (Un Garçon fragile. Le Projet Frankenstein). Elle taraude Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures : qu’on pourra découvrir en salles à partir du 1er septembre. Un homme dialysé et condamné se rapproche des siens à la campagne. Visité par les fantômes de sa femme et de son fils (qui apparaît sous les traits d’un singe aux yeux rouges), disparus tous les deux, il s’enfonce progressivement dans la jungle, à mesure de l’envoûtement que le film provoque chez le spectateur. Défiant la faucheuse du haut de ses 101 ans alertes et facétieux, Manoel de Oliveira a ouvert la sélection « Un Certain Regard » avec la somptueuse L’Etrange Affaire Angélica. Un jeune photographe, chargé de photographier le visage d’une morte, en tombe éperdument amoureux, fasciné par cette Gorgone déguisée en beauté des airs. La mort et le soleil ne se peuvent regarder dans les yeux… « Si je suis devenu moine, c’est pour vivre, pas pour être tué », confie l’un des moines de Tibhirine, dans Des Hommes et des Dieux. Xavier Beauvois, qui a reçu le Grand Prix, parvient à saisir le dilemme intérieur de ces hommes de paix, confrontés à l’islamisme algérien, et à la possibilité de leur massacre. Faut-il plier sous la menace des armes ? Négocier ? Quitter le pays ?, se demandent ces hommes divins, tels « des oiseaux sur une branche ».

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