« Capital », La Poste et le mammouth à casquette

Les postiers?? Improductifs, gourmands, désœuvrés… C’est ce qui ressort du dossier au Kärcher que le magazine Capital consacre à la Poste. A défaut de rigueur journalistique, le titre de Prisma Presse brasse allègrement les poncifs du libéralisme primaire.

L a Poste comme beaucoup d’entreprises publiques ou qui le furent, est un gros bébé un peu capricieux, qui mange beaucoup (d’argent public), pleure souvent (la fameuse « grogne ») et a une légère tendance à l’embonpoint. Heureusement, nous explique Capital dans un joli dossier de quatre pages tout en couleur, La Poste est « enfin transformée en société anonyme ». Bonne nouvelle donc, mais Capital veille au grain et explique doctement : « Autant dire que notre chère Poste va devoir gagner en productivité si elle ne veut pas se faire tailler des croupières par ses fringants concurrents européens ». Et de nous avertir : « A terme, l’entreprise devra se débrouiller seule », car « l’Etat n’a pas l’intention de boucler éternellement les fins de mois des postiers avec des subventions de père Noël ».

Comme le fonctionnaire est planqué, le syndicaliste grincheux, l’usager en colère et la concierge dans l’escalier, le postier « est » trop nombreux. Des chiffres ? « Le nombre de postes de travail inutiles avoisinerait aujourd’hui les 40?000 : 35 500 exactement selon nos estimations. Et il pourrait frôler les 90?000 d’ici à 2015 ». Fichtre ! 35 500 postiers en trop. En lecteur avisé, on appréciera le « exactement » et on se félicite du boulot de la journaliste qui ne se contente pas d’une évaluation au doigt mouillé. Vite, on poursuit sa lecture, pressé d’en apprendre davantage, on doit bien trouver quelque part des sources un peu précises. Le bel encadré fait de l’œil au lecteur, on fonce : 2?000 emplois en trop dans les directions régionales et à la DRH, 2 500 au siège, 6 000 au tri, 10 000 à la distribution et carrément 15 000 dans les bureaux de poste. 35 500, le compte y est. Mais au fait la source ? « Estimation Capital sureffectifs de La Poste ». On n’en saura pas plus.

Ou plutôt, si ! On en saura davantage. Grâce à Eric. C’est le témoin, celui qui par sa seule présence dans l’article justifie le postulat de Capital : il faut alléger La Poste des boulets qui l’empêche de devenir une entreprise compétitive. Eric, donc, facteur en Midi-Pyrénées, avec l’accent du Sud-Ouest, option crédibilité du terroir, se confesse. « Depuis que la crise et les messages électroniques ont allégé sa sacoche d’un bon tiers », il termine sa tournée à 10h30 du matin, soit deux heures et demi avant la fin officielle de son service. « En général, j’attends une petite heure au bureau avant de rentrer chez moi ». Et puis il arrondit son salaire (1?200 euros net par mois), en faisant des petits boulots : « Je ne sais pas comment ça se passe ailleurs, mais ici tout le monde fait pareil », s’épanche-t-il. En voilà assez pour Capital qui conclut. « Au total, 10 % des facteurs pourraient être supprimés dès aujourd’hui sans affecter la distribution ».

Sur le forum de référence de la profession, pas spécialement un repaire de gauchistes mais simplement un lieu où plus de 2?000 postiers sont inscrits et commentent en ligne leur actualité : Bienvenue chez les Ch’ti, le dernier timbre à collectionner et même les articles de Capital. L’un d’eux a posté l’article et les commentaires pleuvent. Les quelques facteurs qui travaillent « pour de vrai » ont dû se donner rendez-vous sur le forum. « Je commence à 6h30 et termine le plus souvent vers 13h15. Le courrier a un peu baissé, mais pas dans les proportions annoncées dans l’article. Les colis ont augmenté de 15 à 30 % par rapport à 2008 et ce, sans effectifs supplémentaires ». Un autre répond : « Nous, on embauche à 7h30 et on termine vers 15h ou 15h30 ». « C’est clair, moi je termine tous les jours vers 13h, enchaîne un facteur. Et il n’est pas rare de finir vers 16h ». « Je suis facteur rural et je termine le plus souvent vers 13h30 ». Un autre : « Je voudrais bien connaître ces bureaux où on peut terminer à 10h30, j’y demande tout de suite ma mutation ». Un autre avance une explication possible : « Le cas d’Eric existe, mais avec des collègues autour de lui qui travaillent trois fois plus. On réclame une révision des tournées, mais c’est la sourde oreille ». Il est rejoint par un contributeur : « S’il termine à 10h30, c’est que les autres bossent jusqu’à 15 ou 16 heures. »

Ne pinaillons pas, il doit s’agir de quelques excités. Au « pays des camions jaunes », comme nous l’explique la journaliste, il faut se prendre un peu en main pour affronter la concurrence européenne. D’ailleurs, une demi-page est consacrée aux méritants voisins qui ont eu le courage de, Capital a le sens de la formule, « dégraisser le mammouth à casquette ». Italie : suppression de 70?000 emplois, les salariés ne sont plus des fonctionnaires, réduction des congés payés et salaires indexés sur la productivité. Pays-Bas : la Poste a supprimé 10?000 emplois et le statut de fonctionnaire. 11?000 postes de plus seront supprimés si les agents n’acceptent pas une baisse de salaire. Ça, c’est du management ! En titre des encadrés : un chiffre d’affaires et l’effectif total. L’action de la Poste se résume à un ratio salarié-productivité. Un grand absent, certainement l’objet d’un prochain dossier, la notion de mission de service public.

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