Churchill, mémoires du futur

Me voici plongé, à ma plus grande surprise, dans les Mémoires de guerre de Winston Churchill, et je n’en ressors pas. Et je n’en reviens pas non plus. Je viens de recevoir le livre, je suis en pleine lecture, mais puisque nous bouclons, je voulais vous faire part de mes impressions, de mes premières impressions, tel un reporter. Lesquelles sont extraordinaires. Emerveillées. Voici la vision anglaise de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas rien. Tout un mouvement nous invite en ce moment à revisiter cette histoire, telle qu’on nous l’a racontée à l’école, afin de faire de nous de bons petits Français, et plus loin, de bons petits Européens. Mais toute une génération (née circa 1963) est aussi en train de se révolter contre cette manière de raconter cette Histoire, comme l’ont prouvé, en 2006, Les Bienveillantes de Jonathan Littell, et cette année encore, le Jan Karski de Yannick Haenel (et je pourrais ajouter à cette ébauche de liste La Restitution d’Hadrien Laroche). Nous revisitons sévèrement ce conflit, ou plutôt la manière dont on nous l’a conté. A dire vrai, il ne s’agit pas in extenso des Mémoires de Churchill qui, à l’origine, remplissaient six volumes, mais d’un « digest » , autorisé en son temps par Churchill lui-même, d’un gros millier de grandes pages, divisé en deux volumes (le second paraîtra en avril 2010). Celui que je lis, c’est donc le premier, couvrant les années 1919 à 1941, mais qu’on ne s’inquiète pas outre mesure, dès la page 20 on est déjà en 1934, et à un premier portrait ébauché de Hitler (puisque Churchill ne le rencontrera jamais). Cette édition avait déjà paru en français dans les années 1950, mais dans une traduction hâtive donc fautive, qui ne rendait pas bien compte du style magnifique de Churchill. Inculte que je suis, j’ignorais que le brave Winston fut aussi un écrivain, et qu’à chaque fois que les affaires lui tournaient le dos, c’est à la littérature historique qu’il s’occupait. Evidemment, tout invite à comparer les Mémoires de De Gaulle et celles de Churchill, l’un à la phrase longiligne et hiératique, l’autre courte et bagarreuse, pittbullesque. Comme je n’ai pas fini ma lecture, je ne ferai pas de synthèse indue, mais je voudrais quand même vous citer quelques phrases qui m’ont accroché. Celle-ci, par exemple, qui m’a frappé, vous comprendrez pourquoi : « Les masses demeuraient dans l’ignorance des réalités économiques les plus élémentaires et leurs chefs, ne pensant qu’aux élections, n’osaient pas les détromper. Les journaux, selon leur habitude, se faisaient tout de même l’écho fidèle ou amplifié des opinions dominantes. » Mince, c’est tout de même signé Winston Churchill ! Ou encore, à propos de la crise de 1929 : « La prospérité de millions de foyers américains s’était édifiée sur la gigantesque structure d’un crédit surgonflé qui se révélait soudain illusoire. La spéculation sur les titres s’était étendue à la nation tout entière, encouragée par les prêts que même les banques les plus célèbres consentaient aisément ; il s’était développé en outre un vaste système d’achat à tempérament de maisons, de mobilier, de voitures et d’innombrables autres articles d’usage courant et de confort domestique. Tout cela s’écroula d’un coup. » Inutile d’insister, je pense. Il faut lire Churchill dans cette remarquable nouvelle édition critique, peu mais insidieusement annotée, lorsque la vérité n’est pas conforme à ce qu’en dit l’auteur.

Winston Churchill, Mémoires de guerre, 1919-1941 , éd. Tallandier, 29 ?

« UNE PENSÉE DU DEHORS »

Alors que l’immonde débat sur l’identité nationale fait rage (débat non pas immonde en soi – aucun débat ne saurait l’être -, mais immonde par la manière publicitaire dont il est posé par l’actuel gouvernement), il est intéressant de se plonger dans les textes d’un qui a toujours vécu entre deux identités nationales, ô combien lointaines et opposées : la France et le Japon. Maurice Pinguet, comme le rappelle Michaël Ferrier, est hélas bien oublié ici. Cet intellectuel, qui fit l’Ecole normale supérieure en même temps que Michel Foucault, dirigea l’Institut franco-japonais de Tokyo de 1963 à 1965. Il y invita Roland Barthes qui écrivit, après son séjour, L’Empire des signes , dédié à Maurice Pinguet. Les courts textes ici compilés construisent pas à pas ce pont impensable entre la pensée française et la pensée japonaise, qu’ils convoquent ce qu’il peut y avoir de bouddhique dans la pratique psychanalytique de Lacan, ou qu’ils évoquent les théories volcaniques développées par Paul Claudel quand il était ambassadeur de France au Japon. Ce livre lent et distingué rappelle, par sa science et son amour du Japon, conjugué à sa science et son amour de la France, combien il est important et nécessaire de conforter et de raisonner aujourd’hui « une pensée du dehors » plutôt que de se focaliser sur une énigmatique, et assurément problématique identité nationale.

Maurice Pinguet, Le texte Japon , introuvables et inédits rassemblés par Michaël Ferrier, éd. Le Seuil, coll. Réflexions, 18 ?

Paru dans Regards n°68, janvier 2010

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