Faites entrer les peuples

L’échec de Copenhague était, hélas, terriblement prévisible. Il est, en fait, celui d’une méthode de gestion des affaires du monde. Echec et obsolescence de l’ONU, écrit-on… Ce n’est pas faux, mais à condition de diagnostiquer justement ce qui est en échec. L’ONU, comme la Société des Nations qui l’a précédée, est née de la guerre et de l’affirmation antifasciste. Elle a fonctionné, pendant quelques décennies, en prenant acte de l’existence de deux superpuissances. Son succès a reposé sur la capacité de ces deux « grands » à respecter la règle du jeu et sur l’espoir placé dans l’ONU par les Etats issus de la décolonisation. Tant qu’elle s’est identifiée à la paix, à la promotion du bien commun et au développement, l’ONU a fait consensus.

Tout s’est détraqué au début des années 1990. Dans un premier temps, on a cru que la fin de la guerre froide marquait l’avènement d’un système « vrai » des Nations unies, dégagé des enjeux de grande puissance. C’est le contraire qui s’est produit. La fin du système soviétique a ouvert la voie, tout à la fois, à l’unilatéralisme américain et à l’éclatement des égoïsmes nationaux. La prééminence attendue du droit international a laissé la place à la logique des rapports de puissances et à l’omnipotence de la loi de la concurrence « libre et non faussée ».

Concrètement, les puissants, Etats-Unis en tête, ont pris la désastreuse habitude de ne respecter la logique onusienne que lorsqu’elle allait dans le sens de leurs intérêts immédiats. Les Etats-Unis ont sapé financièrement les moyens des organismes tournés vers le développement humain, à commencer par l’Unesco. Le pouvoir d’intervention internationale, déjà limité au départ, a été cyniquement transféré vers les forces militaires occidentales : la première guerre contre l’Irak se fait sous drapeau de l’ONU, l’intervention contre la Serbie, en 1999, se fait sous drapeau de l’OTAN ; la seconde guerre contre l’Irak, en 2003, se fait sous le seul drapeau des Etats-Unis.

L’ONU ne dispose pas du pouvoir de régulation économique : elle est tout entière placée entre les mains d’organismes qui ont fini par lui échapper totalement (FMI, Banque mondiale, OMC). Le pouvoir d’orientation politique générale s’est déplacé vers les clubs de puissants, dont le G8 est le modèle. A priori, on lui laissait la régulation des biens communs : la négociation sur les zones maritimes, l’Antarctique, l’action contre la faim. Le sommet de Copenhague vient de jeter un coup de froid sur cette capacité à gérer le « patrimoine commun » de l’humanité.

Comment se sortir de l’impasse ? La logique onusienne du consensus est mise en cause. Mais peu se préoccupent de souligner les critères autour desquels fonctionne le consensus : non pas la logique du bien commun et du droit international, mais celle des Etats et des rapports de force. Limiter le consensus et établir le principe d’une contrainte majoritaire ? Mais sur quelles bases faire fonctionner la majorité ? Ce qui a tué l’espérance des années 1970, ce fut la crainte, par les plus forts, de se voir imposer une majorité par les Etats du Sud. Cette crainte est-elle désormais obsolète ? On ne le dirait pas, à observer l’attitude des uns et des autres.

La tentation est grande de confier un peu plus la gestion des intérêts du monde à un petit groupe, au nom du réalisme. C’est toujours la même logique, celle de la « bonne gouvernance » et non celle de la démocratie. C’est le contraire qu’il faut amorcer. Le pouvoir des plus forts doit être réduit en cassant le mode de fonctionnement du Conseil de sécurité. Et l’ONU ne devrait pas reposer sur la seule représentation des Etats. Les ONG ont montré à Copenhague qu’elles étaient ici bien plus à même de porter l’intérêt général que les Etats. Moins de logique intergouvernementale et moins de marché ; davantage de droit international, de démocratie et de bien commun : voilà ce que pourrait être des pistes d’avenir. R.M. et C.A.

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