TVA. Des miettes pour les salariés

La baisse de la TVA dans la restauration profite-t-elle au client ? La question est si présente qu’elle fait disparaître un tout petit détail : 800000 salariés sont les dindons de la farce. Rencontre avec Gilberte Jason, 26 ans, cuisinière.

Ce fut la grande question de l’été. La baisse de la TVA profite-t-elle pour de bon aux consommateurs? Et des journalistes impitoyables de décerner bons et mauvais points, distinguant les courageux qui baissent le prix du steak, montrant du doigt les filous qui ne réduisent que celui des tripes à la mode de Caen, tançant ceux qui diminuent le contenu des assiettes… Voilà qui a permis de réduire l’enjeu comme fond le glaçon sur un comptoir : qui du client ou du restaurateur fait son miel du joli cadeau fiscal ? Le salarié ? Disparu, comme les engagements verbaux du patronat de la restauration à revaloriser la grille des salaires en contrepartie de la diminution de la TVA. Médiatiquement, la question semble aussi disparaître. Deux universitaires s’expriment ( 1 ) : « La baisse de la TVA à 5,5 % est un cadeau d’un montant quinze fois supérieur, à la seule destination des restaurateurs et de leurs clients : qui sont d’une façon disproportionnée les personnes les plus aisées. Si la baisse était intégralement répercutée, les 10 % des ménages les plus riches bénéficieraient d’une réduction d’impôt de 500 millions d’euros, soit 200 euros par ménage. »

Chez Culture bière, brasserie vitrine d’Heineken sur les Champs-Elysées, le visiteur est accueilli par l’incontournable panneau rappelant la baisse. Le demi n’en frôle pas moins les six euros. Gilberte Jason, 26 ans, salariée de la brasserie depuis quatre ans se souvient : « On a eu un espoir au début mais il est vite retombé. La direction a invoqué une baisse de l’activité pour ne pas nous augmenter. »

En effet, la brasserie ne rapporte plus assez aux yeux du géant hollandais et la fermeture se profile à l’horizon, laissant 60 salariés sur le carreau. Cette baisse de la TVA qui leur passe sous le nez et la fermeture pour un trop peu de bénéfice raconte une même histoire : la presque inexistence de ces 800 000 salariés souvent invisibles de la restauration dont plus de la moitié gagnent moins que le Smic. « Pour Heineken, on est une ligne dans le budget marketing, comme une page de pub dans un magazine, rien d’autre qu’une vitrine. Sauf que nous sommes 60 salariés à en dépendre » , commente Gilberte. « Hyperactive et volontaire » , comme elle se décrit, cette jeune cuisinière s’est pourtant beaucoup battue pour que la brasserie ne ferme pas. « Je considère Culture bière comme l’un de mes enfants, explique-t-ell . C’est la boîte qui m’a permis de réellement commencer à faire mon métier en cuisine et qui m’a offert de la promotion. » Gilberte a grandi en Guadeloupe, où déjà à 14 ans, elle aidait en salle dans le restaurant de sa grand-mère. Il fallait bien aider sa mère, seule et sans emploi, avec quatre enfants à charge. Très vite CAP de cuisine en poche, elle rejoint la métropole, et « ne fait pas la difficile » , sert dans des pizzerias, en maison de retraite, au Parc des expositions… Avant de décrocher LE job, à Culture bière, celui qui lui permettra d’enfin entrer en cuisine. En quatre ans, à force d’entêtement et de « travail appliqué » , elle passe de commis de cuisine à un poste d’encadrement de quatre commis qui lui permet de hisser son salaire de 300 euros au-dessus du Smic. « Au moment du coup de feu, je suis à un poste clé. Je suis chargée d’envoyer les plats en salle, d’achever la finition des assiettes et de m’assurer qu’ils arrivent en même temps sur la table. Mais avant et après, il s’agit de s’organiser, de diriger, de faire le ménage, de ranger… » Bref, un engagement total qu’elle revendique. « Mais pour l’investissement physique et moral du personnel de restauration, le stress et les pressions psychologiques qui sont la règle dans ce métier, non, nous ne sommes pas assez rémunérés. » Aujourd’hui, elle regarde la belle brasserie des Champs-Elysées en soupirant. « Je me suis tellement investie ici que je ne crois pas que je puisse aller bosser ailleurs, explique-t-elle. Alors, je pense à ouvrir ma propre affaire, une boutique de restauration ambulante où je pourrai faire partager ma passion de la cuisine créole, par exemple. » R.D.

[[1. Nicolas Ruiz est économiste à l’Institut d’économie publique (IDEP). Alain Trannoy est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
]]Paru dans Regards n° 65, octobre 2009

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