Animateur d’un réseau de recherche sur le syndicalisme, Dominique Labbé veut croire que, malgré les difficultés de l’intersyndicale, un renouveau est possible.
Quel bilan faites-vous, aujourd’hui, de l’intersyndicale ?
Dominique Labbé. Au printemps 2008, la CGT et la CFDT ont signé avec le Medef une « position commune » qui a été transcrite dans la loi d’août 2008 sur la démocratie sociale. Cette loi marginaliserait, à plus ou moins long terme, les autres syndicats (FO, CFTC, CGC, UNSA, etc). Dans ces conditions, pourquoi imaginer que ces organisations accepteraient de continuer à travailler avec des gens qui ont programmé leur extinction ? Tout rapprochement entre les organisations est évidemment une bonne chose, mais ce qui compte c’est la présence sur les lieux de travail. Dans la quasi-totalité des entreprises, cette intersyndicale n’a rien changé. Les syndicalistes sont aussi invisibles et les salariés qui ont des problèmes ne sont pas mieux défendus qu’auparavant.
Pourquoi, d’après vous, les résultats de l’action syndicale sont si faibles ?
D.L. Les résultats ne sont pas seulement « faibles » , ils sont souvent négatifs. Dans beaucoup d’entreprises, les syndicats signent des accords « défensifs » qui se traduisent, pour les salariés, par un allongement du temps de travail, une flexibilité plus grande et une intensification du travail. En outre, ces concessions n’empêchent même pas les réductions de personnels, les fermetures d’entreprise et les délocalisations… Pour les accords d’entreprise, il n’y a pas de clivage « contestataire/réformiste » . En dehors des grandes entreprises nationales, la CGT signe presque autant d’accords que la CFDT, FO, la CGC ou la CFTC. Le financement des syndicats par les employeurs et la mise à disposition de moyens et de personnel ne sont pas étrangers à cette situation.
Quelles sont les options possibles pour le mouvement syndical ?
D.L. Premièrement, il faut absolument assurer l’indépendance des syndicats en interdisant toute aide directe et indirecte des employeurs privés ou publics. Aujourd’hui, la principale ressource des syndicats est constituée des mises à disposition de personnel, des aides de l’Etat, des collectivités locales, des caisses de Sécurité sociale, des versements officiels ou officieux des grandes entreprises publiques et privées… Deuxièmement, les syndicats doivent donner la priorité aux problèmes individuels des salariés. En effet, la majorité des salariés sont personnellement confrontés à des difficultés : horaires de travail incommodes, autoritarisme du chef, brimades des collègues, mutations arbitraires, charges trop lourdes, bruits, poussières, mauvaises postures… La plupart des syndicalistes ne prennent plus en charge ces dossiers individuels alors que leurs homologues, partout ailleurs dans le monde, y consacrent la grande majorité de leur temps. C’est le seul moyen d’avoir des adhérents, donc des cotisations, qui sont la base de l’indépendance. De plus, cela rendrait aux syndicalistes les racines sociales qu’ils ont perdues. Troisièmement, il est urgent de former des négociateurs professionnels, payés par les syndicats, pour les aider à négocier d’égal à égal avec les employeurs et à déjouer leurs manœuvres. Aujourd’hui, les délégués syndicaux sont des salariés soumis à l’autorité hiérarchique des gens avec qui ils négocient et dont ils dépendent pour leur carrière. Comment s’étonner que les accords soient en faveur des entreprises ?
Pensez-vous que les contestations des syndicats de base puissent faire changer de posture les organisations syndicales ?
D.L. Aujourd’hui, cette grogne aura bien du mal à déboucher car la nouvelle loi fixe sept critères pour qu’un syndicat puisse être représentatif, notamment un délai de deux ans d’existence pour pouvoir se présenter aux élections professionnelles et un seuil de 10 % des voix (sur l’ensemble de l’entreprise) pour être représentatif. Les appareils syndicaux sont donc relativement à l’abri des dissidences. Est-il nécessaire de rappeler que ces deux dispositions ont reçu l’accord du Medef, de la CGT et de la CFDT ? Ces dispositions visent évidemment à rendre les dissidences plus difficiles.
Quelles pourraient être les autres pistes pour rétablir un rapport de force ?
D.L. Près de 7 % des salariés français adhèrent à un syndicat. Dans ces conditions, comment parler de « rapport de force » ? Il vaudrait mieux dire « rapport de faiblesse ». Personne ne peut dire où et quand se produira la prochaine explosion de colère, ou de désespoir, ni prédire quelle sera sa portée. Mais tout semble en place pour éteindre l’incendie.
Propos recueillis par S.K.
Paru dans Regards n°65, octobre 2009
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