Dans un contexte de crise, accompagné de conflits sociaux durs, le gouvernement continue de mépriser les classes populaires. Quelle stratégie syndicale envisager ? Reportage au sein des organisations.
Debout sur la camionnette, face à la Bourse, Mickaël Wamen, délégué CGT de Goodyear, avec son bagout à la Coluche, harangue la foule des manifestants qui ont pris possession, le 17 septembre, des marches du Palais Brongniart pour contester les licenciements boursiers. « Sarko, c’est pas vrai, quand la rue se met en marche, c’est elle qui commande ! Nous-a-vons-un-de-voir-de-lutte. » Applaudissements, joie… Au pied de la camionnette, Olivier Besancenot (NPA) a le sourire aux lèvres, Arlette Laguiller (LO) est heureuse, Jean-Luc Mélenchon (PG) est là aussi, ainsi que Pierre Laurent et Maxime Gremetz (PCF), Arnaud Montebourg (PS) et Cécile Duflot (Les Verts)… Pas sûr que la tournure politique soit du goût de la CGT, représentée par Daniel Sanchez, qui soutenait cette mobilisation venant de la base (Goodyear, Continental, Renault, PSA, Michelin…), mais ne voulait surtout pas que ce soit autre chose qu’une journée de mobilisation de la filière automobile.
AVENIR INCERTAIN
« Il n’y a pas que les Goodyear et les Continental, il y a beaucoup de gens qui souffrent et il faut les rassembler pour peser contre les licenciements boursiers et la criminalisation de l’action syndicale. Je voudrais que ceux qui viennent des petites entreprises montent sur le camion… » , invite Michaël Wamen qui, juste avant, venait d’appeler la CGT à une « action globale » , en rassemblant les luttes, pour créer une confrontation plus forte avec le gouvernement et le patronat. « Il y a de quoi faire péter la cocotte. » Rideau, la CGT remballe. D’autant plus qu’à ce moment-là, aux portes en verre du Palais, le face-à-face entre les CRS, matraques à la main, et les manifestants qui s’étaient invités à l’intérieur de l’ancienne Bourse de Paris est à deux doigts de déraper.
En cette rentrée syndicale, comme Bernard Thibault l’a reconnu dans son interview au Journal du dimanche du 6 septembre, « l’avenir est incertain » . En effet, le front syndical qui unissait les organisations syndicales depuis le 29 janvier 2009 (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, Unsa, FSU et Solidaires) s’essouffle. A la Mutualité, le 7 septembre, FO et la CFTC ont prétexté un problème « de disponibilité » pour s’abstenir et les autres organisations ont réussi à se mettre d’accord, du bout des lèvres, sur une journée d’action collective le 7 octobre à l’occasion de « la journée du travail décent » organisée par la Confédération syndicale internationale (CSI), sans modalité précise pour l’instant. « Le premier round de l’intersyndicale est inachevé et n’a pas réussi à faire bouger la politique du gouvernement Fillon ni le patronat, analyse le politologue René Mouriaux, auteur de nombreux ouvrages de référence sur le syndicalisme. Les journées de mobilisation ont été trop disparates, sans progressivité et pas assez articulées avec les luttes concrètes dans les hôpitaux, les universités… S’il est évidemment dangereux d’abandonner l’unité aujourd’hui, il faut absolument la compléter et la dynamiser. »
DISPERSION
Ouvrir des perspectives communes à la plateforme syndicale, Annick Coupé, de Solidaires, en est convaincue. « Le problème, c’est que nous avons du mal à avoir des discussions sur le fond dans cette intersyndicale. Il y a quelque chose de figé… Tant que la question du redécoupage du paysage syndical n’est pas décantée, nous serons forcément en compétition. » En effet, la nouvelle loi sur la représentativité du 20 août 2008 : qui substitue les résultats électoraux au principe de présomption irréfragable : pousse inexorablement chaque confédération à chercher en priorité à renforcer ses troupes, sous peine de disparaître. Dans ce contexte, forcément, « il y a une hésitation à engager des mouvements de lutte plus radicaux » , reconnaît la porte-parole de Solidaires. Résultat, pour cette rentrée syndicale chaque confédération a présenté son calendrier de mobilisations, laissant flotter dans l’air l’impression qu’elles ne voulaient pas se saisir de la grogne actuelle de la base pour durcir le rapport de force avec le gouvernement et le patronat.
LECTURE DE LA CRISE
« Il y a clairement une dispersion, note René Mouriau . Mais je crois que LE problème essentiel aujourd’hui, c’est de savoir comment et autour de quoi se fédérer. » L’extrême fragmentation et précarisation du salariat, la concurrence internationale qui « étrangle l’action syndicale » , la grève qui, comme l’expliquent très bien Sophie Béroud et Yon Karel dans un texte publié dans Contretemps ( 1**), n’est plus vraiment une arme, faute de moyens militants, ni de moyens matériels, font partie des facteurs « endogènes » de la crise du syndicalisme. « Mais d’après moi, la faiblesse fondamentale du mouvement syndical, c’est qu’il n’a pas de grille de lecture propre de la crise actuelle » , insiste René Mouriaux. Ainsi, la CGT qui s’appuyait sur la vision globale que proposait le Parti communiste français, aurait « aujourd’hui pris le contre-pied de ses défauts » en mettant à distance toute tentative de rapprochement avec les idéologies de gauche (allant jusqu’à refuser d’aller à l’université d’été du NPA). « Les stratégies syndicales ne sont pas, en effet, à la hauteur, que ce soit sur le travail du dimanche ou le forfait hospitalier, reconnaît Annick Coupé… Mais le gouvernement est à l’offensive, rapide et sûr de ses choix. Il manque certainement aujourd’hui des débouchés politiques à l’action, mais encore faut-il pouvoir en discuter pour ne pas répéter les expériences malheureuses du passé. Pour ça, il faudrait créer des espaces politiques pour permettre ces convergences. » L’exaspération sociale et les « 300 000 emplois menacés à brève échéance dans le secteur industriel » , dixit Bernard Thibault, donneront peut-être l’occasion d’accélérer le rassemblement de tous ceux qui veulent une autre politique sociale. **S.K.
[[1. « Face à la crise, que fait le mouvement syndical ? », http://contretemps.eu/interventions
]]Paru dans Regards n°65, octobre 2009
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