Trouble dans la démocratie (3). Primaires: une réponse au malaise de la gauche ?

Quelle dynamique pour une rénovation démocratique : des primaires ou des initiatives de type Etats généraux ? Une procédure de désignation du candidat de la gauche pour 2012 peut-elle régler la panne de projet ?

L’organisation de primaires pour désigner le candidat de la gauche à la prochaine présidentielle apparaît comme la dernière recette miracle pour lutter contre la dépression collective. Le titre du livre d’Arnaud Montebourg et Olivier Ferrand, qui vient de paraître pour défendre ce scénario, n’annonce rien de moins : Primaire. Comment sauver la gauche ? (1). La pression monte, les responsables socialistes sont sommés les uns après les autres de se prononcer sur l’hypothèse. Ségolène Royal ou Manuel Valls étaient conquis de longue date mais Bertrand Delanoë ou Laurent Fabius, longtemps peu chauds sur le sujet, ont donné leur accord, comme un gage de modernité. Alors que le bateau coule, désigner un « chef » peut-il suffire à sauver le PS et la gauche des eaux ?

UN LEADER LÉGITIME

Dans un contexte social et économique tendu, l’omniprésence de cette question a quelque chose de décalé. Une procédure de désignation pour 2012 peut-elle régler la panne de projet et constituer l’alpha et l’oméga de la rénovation démocratique ? Montebourg et Ferrand y croient. Selon eux, pour régler la question du projet, il faut organiser des primaires à même de dégager un leader légitime car « la question préalable, le verrou qui paralyse toutes les autres fonctions du parti et qu’il faut désormais forcer, c’est la crise du leadership » . Leur objectif : lancer une dynamique politique, rassembler plus largement que le PS et, en sortant des querelles de personnes et de chapelles, libérer le débat pour le projet. Le plaidoyer, dans le rapport remis à Martine Aubry en juin dernier ou dans le « petit livre rouge des primaires » , est à bien des égards convainquant. Jusqu’à quel point ?

L’idée d’associer largement au-delà des membres de partis pour désigner un candidat ou une candidate est une manière de prendre en compte le besoin croissant de participation de tout un chacun à la vie politique. C’est au fond rompre avec la conception traditionnelle du parti qui considère ses membres comme mieux éclairés que les citoyens ordinaires et surtout plus légitimes pour choisir leur leader. Cette démarche mériterait d’être pensée plus globalement, et pas seulement pour élire un candidat. Surtout quand il s’agit de rentrer dans les habits trop anciens de la Ve République, avec l’élection du Président au suffrage universel qui légitime la dimension personnelle du pouvoir au détriment des majorités collectives.

RÉGÉNÉRATION

Un processus de coconstruction des organisations politiques de gauche avec les individus et collectifs du mouvement social et d’ouverture sur la société est l’une des clés de leur régénération. Vu l’état de la gauche, des initiatives de type Etats généraux peuvent sembler plus urgentes pour remettre en route une dynamique de projet que les primaires. Mais l’un n’empêche l’autre, et la question des personnes ne peut être éludée. Qu’on le veuille ou non, la politique s’incarne. La personnalisation a bien des travers, souvent pointés dans la gauche radicale : elle donne un rôle et du pouvoir à une personne au détriment du collectif humain qui fait vivre le projet, ce qui n’est pas parfaitement juste et démocratique, et potentiellement source d’imposition au collectif de choix personnels du leader. Mais nous avons besoin de personnalités qui portent des combats : c’est ainsi qu’ils prennent corps, chair, et deviennent populaires.

Si la méthode des primaires est à creuser dans ses modalités d’organisation concrètes (quel corps électoral ? peut-on s’inscrire sur les listes jusqu’au dernier moment ou faut-il avoir validé une inscription au préalable ?), elle est dans son principe en phase avec les exigences démocratiques de notre temps. Ce qui devrait être l’objet majeur du débat autour des primaires, c’est la question du périmètre politique concerné. Au fond, de quel projet à gauche s’agit-il de choisir le candidat ? La cohérence voudrait que l’on organise deux initiatives de type Etats généraux sur le contenu et deux primaires à gauche : l’une concernant les forces démocrates, « socialistes » et écologiques ; l’autre pour les forces de la gauche de transformation sociale et écologique. D’un côté, les tenants d’un accompagnement social de l’ordre existant. De l’autre, la gauche des ruptures. Car imaginer que toute la gauche puisse avoir au premier tour un seul candidat est un non-sens politique : il existe bel et bien deux grandes orientations à gauche, non solubles en une candidature de premier tour. Dans l’autre gauche, on se souvient que le principe d’une candidature commune a fait long feu en 2007… Pourtant, les collectifs antilibéraux attiraient au-delà des partis existants et avaient su créer une réelle dynamique. Les règles du jeu de la désignation étaient alors un peu improvisées et artisanales ; le processus n’est pas allé à son terme. L’éparpillement final fut mortifère pour tous. La gauche radicale ne risque pas de participer à la primaire organisée par le PS et certains de ses alliés (le MRC et le Parti radical semblent d’ores et déjà ouverts à ce principe). Il pourrait donc y avoir deux processus à gauche : dans ce cas, les Verts et Europe Ecologie devraient choisir auquel prendre part. Il est vrai qu’imaginer la primaire de l’autre gauche, c’est postuler qu’elle puisse faire cause commune durablement. A ce jour, tout le monde en son sein n’en est pas convaincu. Mais il reste un peu plus de deux ans… C.A.

Paru dans Regards , n°64, septembre 2009

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