Le phénomène est si marginal que l’on se demande comment et surtout pourquoi une telle polémique a pu naître ces derniers mois au sujet du port de la burqa en France. C’est un député communiste, André Gérin, qui a mis l’affaire sur le devant de la scène. Après des années de conflit sur la nécessité de légiférer contre le port du voile à l’école, la machine à stigmatiser les musulmans est relancée. Il s’agit désormais de savoir s’il faut ou non interdire le port de la burqa. Une mission d’information parlementaire, regroupant 32 députés, a été installée le 1er juillet dernier pour jauger l’opportunité de légiférer. Quelques jours plus tard, le président du groupe UMP, Jean-François Copé, s’est prononcé «pour une loi, après une phase de dialogue» . On est en droit de se demander si la concertation initiée est sincère…
Depuis, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) s’est risquée à évaluer le nombre de femmes portant la burqa ou le niqab. En chiffrant à l’unité près, cette enquête policière frise le ridicule : 367 femmes auraient adopté le voile intégral sur notre territoire. Mais ce qui importe ici, c’est l’ordre de grandeur. Une seconde étude de la sous-direction de l’information générale, qui regroupe au sein de la sécurité publique une partie des anciens Renseignements généraux, va dans le même sens. La France et ses valeurs républicaines, dont le pilier «laïcité», sont-ils menacés par quelques centaines de femmes qui portent le voile intégral ? L’appareil législatif et l’intelligentsia médiatique doivent-ils se mettre en branle pour un phénomène si marginal ?
Surtout, l’application d’une éventuelle loi interdisant le port de la burqa peut se révéler contre-productive,entraînant une radicalisation des comportements face à ce qui pourrait être vécu comme un acharnement de notre République à l’égard d’une religion ? Comme sur le voile ou, dans un autre registre, le racolage passif, il s’agit d’invisibiliser les personnes, au nom de leur «protection», de leur «propre intérêt» : non discuté avec elles. Or, pas sûr que l’on protège réellement les femmes et qu’on leur donne les moyens de leur autonomie en les renvoyant toujours à l’espace privé. Autrement dit, on tolère les oppressions à condition qu’elles ne se voient pas, qu’elles ne se pratiquent pas dans l’espace public.
Le voile intégral est une atteinte à la liberté des femmes. Disons-le et ayons confiance dans nos valeurs. Mais faisons attention aux amalgames en montrant du doigt une pratique considérée «d’un autre âge» par la plupart des musulmans : c’est le point de vue des organisations représentatives de l’islam : et à la disproportion entre un fait somme toute ultra-minoritaire et un débat qui mobilise tant de médias et de responsables politiques. Au risque d’un résultat contraire à l’objectif recherché : une communauté islamique se sentant traquée, soumise à des amalgames, et donc plus prompte à radicaliser ses comportements, à se renfermer dans certaines pratiques qu’on lui reproche. Que ce débat refasse surface maintenant, en pleine crise du capitalisme, au moment où le désarroi social s’installe, est… étrange. Une sorte de diversion dont on se passerait bien. Car les racines du malaise républicain sont assurément à chercher ailleurs. Une promesse d’égalité non tenue, des libertés sous surveillance, une démocratie malade : là est la question. C.A.** et **E.C.
Paru dans Regards n°64, septembre 2009
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