Mayotte, le « rêve » à portée de main

30 mars 2009. Ce jour-là, Mayotte se réveille avec la gueule de bois des lendemains de fête. Les fonctionnaires territoriaux ne travaillent pas : la journée a été proclamée fériée par le président de la collectivité départementale, Ahmed Attoumani Douchina (UMP). La veille, les électeurs de Mayotte se sont massivement prononcés en faveur de la départementalisation de l’île.

Colonisée en 1841, Mayotte (Maore en shikomori) forme avec Anjouan (Ndzuani), Mohéli (Mwali) et la Grande Comore (Ngazidja) l’archipel des Comores : un territoire homogène situé dans le canal du Mozambique, dont la population issue de multiples brassages arabes et africains est très majoritairement de confession islamique, qui fut placé sous le protectorat de la France à la fin du XIXe siècle. La décolonisation, en 1975, a cependant séparé la première île des trois autres, lorsque 65% de ses habitants ont voté pour rester français, quand 99% des électeurs des autres îles choisissaient l’indépendance. Revendiquée depuis par les Comores indépendantes, qui bénéficient du soutien de l’Organisation des Nations unies selon laquelle Mayotte reste un territoire à décoloniser, l’île a longtemps vécu dans l’incertitude d’un avenir inscrit en pointillé, à l’image des deux statuts hybrides créés spécialement pour elle par le législateur français : collectivité territoriale de 1979 à 2001, et collectivité départementale depuis 2001.

Cinquante et un an après, la naissance du mouvement départementaliste mahorais, la consultation organisée le 29 mars : une promesse du candidat Sarkozy : a mis fin à cette situation. A la question: «Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée département régie par l’article 73 de la Constitution et exerçant les compétences dévolues aux départements et régions d’Outre-mer» , 95,2% des votants ont répondu «oui» :contre 4,8% pour le «non». Un raz-de-marée électoral sans surprise qui devrait faire de Mayotte, sauf refus improbable du Parlement, le 101e département français et le 5e département d’Outre-mer en avril 2011. «Un rêve porté par plusieurs générations qui se réalise» , selon Nicolas Sarkozy.

DISCOURS DES ANCIENS

L’histoire. Il en a été question durant toute la campagne précédant cette consultation. Partout. Tout le temps. Au cours des nombreux meetings pour le «oui» :il n’y en a eu aucun pour le «non». Mais aussi dans les bureaux, les villages, les foyers 😐 «moi, les avantages et les inconvénients, je m’en moque, je ne veux même pas les entendre, je voterai «oui» par respect pour mes parents qui ont lutté pour que Mayotte reste française et soit département» , indiquait quelques jours avant le scrutin Mohamed, un agent du Conseil général.

Devenu mythique, le «combat des Mahorais» durant cinq décennies fut l’argument massue de la campagne. Une sorte de «chantage aux anciens» , selon l’expression de Mlaïli Condro, linguiste et élu municipal, difficile à refuser dans une société «où le discours des parents est prépondérant et ne prête pas à discussion» . Idéalisé, le département est, pour les anciennes générations, la panacée.

Changement de ton chez les plus jeunes. «Si je vote, c’est pour moi, pour mes enfants. Pas pour un combat dépassé !» , s’énerve Hachim, un jeune cadre de 26 ans. Lui aurait aimé discuter des «avantages» , mais aussi des «inconvénients» d’un changement de statut. «On l’a vu ces dernières années : la marche vers le droit commun a créé de nombreux problèmes» .

La départementalisation a en effet déjà commencé. Depuis la loi du 11 juillet 2001, l’île a intégré progressivement le droit commun dans de nombreux domaines : six sont encore régis par la spécialité législative, parmi lesquels la fiscalité, le droit du travail et le droit des étrangers. Une évolution législative parfois difficile à avaler, tant au niveau sociétal (interdiction de la polygamie, lente disparition de la justice cadiale(1), modification des règles en matière d’héritage) que sur le plan économique. Dans ce domaine, de nombreux artisans qui vivaient d’une économie informelle dans laquelle la formation qu’ils n’ont jamais suivie n’était pas prépondérante, se sont retrouvés sur la paille.

La jeunesse n’est pas pour autant systématiquement opposée à la départementalisation. Au contraire. «Les anciens sont bercés par les mythes de la lutte contre les Comores. Mais pour les jeunes nés après 1975, cette question ne se pose pas» , analyse Mlaïli Condro. «Ce sont des Occidentaux! Du moins se perçoivent-ils comme tel. Ils sont nés français. Ils appartiennent à ce pays, mais ils en sont rejetés, comme en banlieue» , ajoute Mohamed, un étudiant en sociologie. «Ce qu’ils demandent à travers le département, c’est l’égalité de traitement. Ni plus, ni moins.»

LE MODÈLE ANTILLAIS?

Il en veut pour preuve la victoire en 2007 d’Abdoulatifou Aly aux élections législatives. Ce dernier calque son discours sur celui d’Aimé Césaire :le Césaire de la départementalisation des «quatre vieilles» . «Seul le département nous permettra d’avancer avec les mêmes droits que les autres territoires français» , expliquait Aly en 2008. Avant d’ajouter: «Nous voulons être département pour que l’Etat respecte la loi! Notre combat, c’est plus un combat contre la France que contre les Comores.»

Certes, de nombreux jeunes avancent des raisons sonnantes et trébuchantes :le RMI, les prestations sociales, l’assurance chômage: autant de droits inexistants ou naissants dans l’île, et qui seront progressivement mis en place avec la départementalisation, durant une période de vingt-cinq ans. Mais pour Aboubacar, un militant associatif, la départementalisation :l’assimilation en quelque sorte: est perçue comme l’ultime étape de la décolonisation. «Pour nous, la départementalisation est un moyen de mettre fin à la situation de Mayotte, qui est encore aujourd’hui gouvernée comme les colonies» , affirme Aboubacar. Un discours qui tranche avec les partisans du «non» , dont un certain nombre de religieux, pour lesquels la départementalisation «va tuer notre culture, notre religion» .

D?autres ne veulent pas voir le modèle antillais se reproduire. «Ce que l’Etat a fait là-bas, en instaurant un pipe-line économique exclusif entre les Antilles et la France, est un véritable crime. Mais ici, est-ce différent» , fait remarquer Ahmed, un enseignant. «Toute l’économie de l’île est basée sur les investissements de l’Etat» , reconnaît Saïd Omar Oili, président de la collectivité entre 2004 et 2008.

LOGIQUE DE CONSOMMATION

Plus que jamais, Mayotte est entrée dans une logique de consommation folle au regard de sa très faible production :seuls deux secteurs d’activité exportent: l’aquaculture et l’essence d’ylang-ylang. Alors que les exportations couvrent à peine 1,5% des importations, la consommation de produits «made in France» ne cesse de progresser, de même que le recours au crédit :entre 2002 et 2007, les crédits à la consommation sont passés de 30millions à 75millions d’euros, soit une hausse de 150%. La solidarité, qui a longtemps permis à la société mahoraise d’éviter le chaos en l’absence de minimas sociaux, se dissout lentement mais sûrement. Ce qui fait craindre le pire à de nombreux observateurs. «La crise aux Antilles va forcément trouver une forme semblable ici, si rien n’est fait» , pense Oili avant de citer le Manifeste des neuf intellectuels antillais «pour des sociétés postcapitalistes» : «Le prosaïque :se nourrir, se soigner:, on l’a, mais où est le poétique, la culture, l’identité»

B.A.

1. De «cadi», magistrat qui remplit des fonctions civiles, judiciaires et religieuses.

Paru dans Regards , n°62, mai-juin 2009

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