Luttes sociales, il faut gagner

Radicalisée, tendue, explosive, la situation sociale pousse à la conflictualité politique. La lutte emblématique chez Continental donne à voir la colère et la détermination face à l’injustice de notre logique économique. Pratiquée dans des entreprises telles que Sony, 3M ou Scapa, la séquestration de cadres dirigeants signe la radicalisation de la révolte sociale. Le saccage d’une préfecture par des salariés de Caterpillar en témoigne plus encore.

Tous les commentateurs soulignent le désespoir des salariés du privé touchés par la crise :ou plus exactement par les décisions patronales qui prennent parfois prétexte du contexte pour licencier et geler les salaires. Nul doute que la peur de l’avenir et l’angoisse de ne pas retrouver d’emploi sont là. Pour autant, comme le suggère le sociologue Lilian Mathieu, le regain de pratiques telles que la séquestration manifeste davantage la volonté des salariés de retourner un rapport de force défavorable, que le désespoir. On pourrait même y voir un certain pragmatisme.

Force est de constater qu’enfermer les patrons permet de gagner là où la négociation classique semble inefficace ou, en tout cas, insuffisante pour obtenir satisfaction. Un seul exemple : les salariés de l’entreprise Scapa : un fabricant britannique de rubans adhésifs : ont arraché, en enfermant quatre membres de la direction, le doublement de leur prime de départ suite à la fermeture du site de Bellegarde. Un salarié syndiqué à la CGT exprimait ainsi l’objectif  : «Leur dire qu’on n’était pas des chiens et qu’on n’était pas là pour ramasser les miettes.» Il faut dire que le groupe Scapa France a dégagé 3 millions de bénéfice en 2008, dont la moitié fut réservée aux actionnaires. Chez Caterpillar, nous savons que 20 000 licenciements sont prévus pour préserver la rentabilité des actions. Chez 3M, où l’un des dirigeants fut séquestré alors qu’il venait annoncer 110 suppressions d’emploi à Pithiviers, dans le Loiret, le versement des dividendes a augmenté au premier semestre 2009. En pleine crise financière, comment la rétribution du capital au détriment du maintien des emplois ne susciterait-elle pas des actes de révolte ? Comment les énormes bonus raflés par quelques dirigeants sans scrupules, pendant que les salaires du plus grand nombre stagnent ou reculent, ne sèmeraient-ils pas la colère ? Cela n’empêche évidemment pas le patronat de s’insurger, le chef de l’Etat de menacer : «pas question de laisser faire» :, le ministre Brice Hortefeux d’attaquer vertement les salariés d’EDF qui pratiquent des coupures d’électricité…

Le ton monte. Le registre sécuritaire est en marche. La droite ne sait plus quoi inventer pour criminaliser les rebelles et ose l’absurde : interdire le port d’une cagoule dans les manifestations. La tournure actuelle de l’affrontement social échappe pour une bonne part aux organisations syndicales. Soucieuses avant tout de la nécessaire unité syndicale, elles peinent à donner la vigueur et le rythme indispensables à un mouvement d’ensemble qui, rassemblant toutes les contestations, pourrait déstabiliser en profondeur le pouvoir en place. Pas si simple… La Guadeloupe, avec le LKP, a réussi une dynamique inédite en alliant toutes les raisons, sociales, culturelles et sociétales, de lutter et d’inventer. Les grèves et manifestations se succèdent : il faut maintenant gagner. Localement, des salariés tentent d’arracher le maximum pour sauver leur peau. Il n’en reste pas moins que c’est globalement que notre modèle économique et social doit être bouleversé. D’où l’importance de la convergence des luttes. Et de la construction d’une alternative politique.

C.A.

Paru dans Regards , n°62, mai-juin 2009

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