Le grand désenchantement

La crise économique commence à se ressentir, y compris dans le sport. Les signes inquiétants se multiplient, comme autant de clignotants qui passeraient au rouge dans un film catastrophe. Aux Etats-Unis, la NFL, la ligue de football américain, prévoit de licencier 150 de ses 1 100 employés. De son côté, la NBA (basket) annonce la suppression de 80 postes, et elle vient de lever un emprunt de 20 millions de dollars pour aider ses clubs en difficulté. La préparation des JO à Londres vire au cauchemar financier où l’Etat ne cesse de jouer le rôle de pompier. Chez nous, le Monde nous apprend que «| pour la première fois depuis une vingtaine d’années, les droits télévisuels vont baisser en 2009» . Ceux de la fameuse coupe de la ligue n’ont pour le moment pas été attribués, les dirigeants du foot pro hexagonal refusant de se contenter de la seule offre, à la baisse, de France-Télévision. L’Olympique lyonnais a d’ailleurs déjà perdu, avec le retrait d’ACCOR, son principal sponsor maillot.

Du coup, brusquement, certains esprits un peu plus libres se lâchent. Michel Platini devant les parlementaires européens a même pris des accents altermondialistes : «| Depuis quinze ou vingt ans, on nous répète à s’en lasser, qu’il ne faut pas réglementer, que le marché s’autorégule parfaitement, que les excès et les déséquilibres disparaîtront d’eux-mêmes (…). Notre système est menacé à moyen terme d’une implosion financière.» L’ECA, association intégrée au conseil stratégique de l’UEFA qui rassemble 137 clubs européens, se rallie ainsi de bonne ou de mauvaise grâce au credo bien flou d’un «| fair-play financier» . Interdit de rire…

Ces prises de position au sommet du foot répondent étrangement à une espèce de désenchantement généralisé, où le dopage sort de l’ombre comme jamais (voir le livre du coureur Dwain Chambers qui raconte ses années «| anabolisants» à l’instar de n’importe quel junkie), et où l’image affairiste de Bernard Laporte supplante, sans grandes difficultés, la visibilité de son action (ses services viennent pourtant de pondre un opuscule de 133 pages, 500 jours qui ont bougé le sport !, pour défendre son bilan, bravo pour l’imagination débridée de ceux qui l’ont rédigé). Le philosophe chrétien Jean-Luc Marion s’interroge donc naturellement dans les colonnes de l’Equipe magazine sur la viabilité d’un tel système : «| Des millions de passionnés vivent par procuration les exploits des champions. Mais cela va-t-il durer»

Cette ambiance désabusée touche toutes les strates du mouvement sportif et redonnent de la voix à ses contestataires. A Nice, l’association NICEA («| 100 % à gauche, 100 % écologique» ) lance une pétition contre la candidature de la ville aux JO avec, en retour, une audience médiatique inhabituelle. La FSGT mobilise ses clubs autour de la pétition «| sauvons nos clubs» et est présente dans les manifestations unitaires. Marie-George Buffet entend mobiliser l’ensemble des acteurs du sport français autour d’un «| appel pour le sport et le modèle sportif français» . Les candidats à la présidence du CNSOF n’ont jamais, de Guy Drut (pour la droite) à Bernard Amsalem (à gauche), à ce point, dérogé à l’hypocrite dogme de l’apolitisme du mouvement sportif. Le sport sera-t-il sauvé par ses opposants? Après tout, c’est ainsi que fonctionne toute démocratie, non? N.K.

Paru dans Regards N°61, avril 2009

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