Par amour

Depuis L’adversaire , son livre sur l’affaire Jean-Claude Romand, cet homme qui avait bâti sa vie sur un mensonge, on attend les publications d’Emmanuel Carrère avec impatience. Un roman russe avait ensuite confirmé que l’écrivain avait trouvé une nouvelle manière d’articuler journalisme, reportage littéraire, autobiographie et romanesque. Comme on avait pu un moment parler d’autofiction pour définir un nouveau pacte autobiographique, on pouvait parler avec Emmanuel Carrère d’autoroman. Si, comme le dit Stendhal, un roman est un miroir que l’on promène le long du chemin, notre homme semblait avoir trouvé une nouvelle inclinaison pour ce miroir, une autre manière de le tenir bien en main. Un roman russe montrait ainsi une aptitude à scénariser le réel, à monter des récits qui dévoilaient la face romanesque de la vie. On sentait chez Carrère, ancien critique de cinéma et cinéaste lui-même, la volonté d’écrire cinématographiquement, en dévoilant les saillies dramatiques de la réalité. Son nouveau livre est un nouveau succès, de ce point de vue. Lisons le quatrième : « A quelques mois d’intervalle, la vie m’a rendu témoin de deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une jeune femme pour ses enfants et son mari. Quelqu’un m’a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n’écris-tu pas notre histoire ? »

C’est toute l’affaire de D’autres vies que la mienne : l’écrivain s’y fait scribe. A charge pour lui de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Mais qu’est-ce que la vérité de drames aussi inadmissibles, insoutenables et injustifiables que la mort d’une enfant dans une catastrophe naturelle ou celle d’une jeune mère de famille, par ailleurs juge spécialisée dans le surendettement, d’un cancer ? C’est toute la tension du livre : trouver la vérité, non pas de ces drames (ils n’en ont pas, même si le livre s’interroge courageusement sur la nature du cancer : biologique ou somatique) mais de ces vies, de la vie. La réponse de l’écrivain (que son fonds chrétien, sans doute remonté d’une psychanalyse, charpente) est simple : c’est l’amour. Et voilà l’écrivain qui, par amour, celui de sa femme et celui qu’il découvre de la vie, se plonge dans l’épais et rébarbatif dossier du surendettement, transformant un livre sur l’implacabilité des destinées en un livre sur l’implacabilité de certains engagements. Lui-même, à la fin du livre, fait son bilan de « santé mentale » (que Freud, rappelle-t-il, résumait ainsi : la santé mentale se caractérise par la capacité à aimer et à travailler) : il aime. Et bientôt, il va travailler. En ajoutant, magnifiquement : « Ah, et puis : je préfère ce qui me rapproche des autres hommes à ce qui m’en distingue. Ça aussi, c’est nouveau. »

Emmanuel Carrère , D’autres vies que la mienne , éd. P.O.L., 19,50 e

VOYAGE À BELGRADE

Depuis J’ai épousé un casque bleu , qui nous plongeait dans la guerre des Balkans côté bosniaque, David di Nota, jeune écrivain qui s’était distingué jusqu’à présent par des livres légers, stylés, ironiques, semble avoir trouvé son sujet : la guerre. Cette fois, avec Bambipark , il va chez « l’ennemi » : les Serbes. Bambipark raconte donc un voyage à Belgrade où l’écrivain qui cherche à écrire une pièce de théâtre sur la notion de guerre « humanitaire » s’enquiert de ce parc à thèmes pour divertir les enfants que le fils de Milosevic a fait construire sous les bombardements : le Bambipark du titre. Sur un ton badin, David di Nota qui se qualifie « d’Européen tout à fait ordinaire bercé par le pacifisme tranquille des années 1990 » , ayant voté « oui » au Traité de Maastricht dans l’espoir de voir les peuples européens vivre en paix, puis ayant dû considérer comme tout le monde le massacre de Srebenica, pour ne parler que de celui-là, en vient à soulever d’importantes questions. Faut-il continuer à vivre sur un idéal kantien qu’il qualifie de « philosophie grotesque fondée sur l’espérance en un destin rationnel de l’humanité » ? Et, par ailleurs, les peuples ont-ils une âme ? Sa réponse semble bien être oui. Comme il l’écrit : « Je m’aperçois qu’il faut une somme considérable de naïveté : ou de simplisme : pour croire au dépassement des nations en Europe. Que cette vérité soit désolante au plus grand nombre, je le reconnais sans mal, mais faut-il atténuer une vérité parce qu’elle est désolante ? Doit-on raconter des histoires aux électeurs européens sous prétexte que leur besoin de consolation est impossible à rassasier ? » Un roman : même si sa réflexion n’est pas assez poussée : qu’on devrait lire avant de mettre bêtement son bulletin dans l’urne aux élections européennes.

David Di Nota , Bambipark , éd. Gallimard/ L’Infini, 18 e

BIO D’UN RÉVOLUTIONNAIRE

Si vous n’avez pas le courage de lire l’imposante biographie du révolutionnaire mexicain par Ignacio Paco Taïbo II, précipitez-vous en revanche, pour 3 euros seulement, sur son portrait réalisé sur le vif, en 1913, par John Reed, le célèbre journaliste et militant communiste américain, qui racontera la Révolution d’octobre dans Les dix jours qui ébranlèrent le monde avant d’être enterré sous le Kremlin.

John Reed , Pancho Villa , éd. Allia, 3 e

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