A 57 ans, Michel Vaujour a passé vingt-sept ans derrière les barreaux, dont dix-sept en cellule d’isolement. Ses multiples évasions ont défrayé la chronique, notamment sa sortie en hélico de la Santé en 1986. « Ne me libérez pas, je m’en charge », un documentaire de Fabienne Godet sur sa vie, sort ce mois-ci. Celui qui fut le MacGyver d’une génération revient ici sur ses relations particulières à la vie, à la liberté. Entretien avec Michel Vaujour.
Dans Ma plus belle évasion (1), vous reveniez sur votre enfance, vos années de détention, vos multiples évasions et votre libération en 2003. Pourquoi avez-vous accepté le projet de Fabienne Godet? Michel Vaujour. Parce que j’avais confiance. J’avais déjà eu plusieurs propositions mais on voulait toujours m’enfermer dans un rôle, genre c’est un bandit, c’est du spectaculaire, du fait divers. Ça ne me correspond pas du tout. Je pratique l’hygiène mentale, alors, m’enfermer dans le passé, non, merci! Ce que je veux bien communiquer, c’est la relation à la vie recueillie sur le chemin du banditisme, de l’adversité de la prison. Tout un cheminement humain. Et Fabienne, justement, je savais qu’elle comprenait ça.
Dans le documentaire, on vous découvre doué d’une force intérieure incroyable. Etes-vous conscient de cette confiance en la vie que vous dégagez? M.V. En fait, je ne me pose pas la question! Je crois tout simplement qu’on peut tout dépasser et même qu’on a tout à y gagner, à tout dépasser. Je me suis transformé dans l’épreuve, sur ce chemin qui m’a forcé à descendre au plus profond de moi, de ce que je pensais ne pas être. Et plus le chemin est dur et plus on finit par découvrir des forces au fond de soi, des forces dont on ignorait la présence. Des forces qu’on ignorerait d’ailleurs peut-être toujours, si on n’avait pas été obligé d’aller plus loin.
En 1986, vous recevez une balle en pleine tête lors d’un braquage sur Paris. Sorti du coma, vous êtes placé en isolement avec une hémiplégie du côté droit. Pendant dix-sept ans…M.V. Oui, j’ai eu la chance d’être obligé d’aller plus loin que la norme. Et de tenir. C’est cette expérience qui fait que je suis devenu ce que je suis devenu. C’est ce cheminement qui me donne cette relation à la vie si particulière, ce que vous appelez ma force intérieure. Je crois qu’on peut tout réussir, vraiment tout, si on est prêt à tout sacrifier, surtout ce que l’on croit être.
Du personnel de prison, rencontré «de l’autre côté», vous remercie pour vos témoignages… M.V. Oui, ça fait bizarre! Ils disent que c’est rare que quelqu’un parle de l’intérieur, y compris de son besoin de se protéger vis-à-vis de l’administration, des matons. Pour les familles des détenus aussi, c’est important. Ça peut les aider à mieux comprendre ce que leur propre parent vit et ne parvient peut-être pas à exprimer. Et il paraît que ce que je raconte, beaucoup le vivent de l’intérieur, les détenus, les matons et même les directeurs de prison.
Six ans après votre libération, que pensez-vous du système pénitentiaire? M.V. La pénitentiaire a été pendant des années mon ennemi. En cellule d’isolement, c’était même devenu mon ennemi naturel. La pénitentiaire assurait sa mission de sécurité avec tellement de zèle que j’étais comme enterré vivant. Toutefois, dans la dernière phase, je suis tombé sur un directeur de prison qui a osé assumer sa mission de réinsertion.
Vous misiez sur la modification en 2000 du régime de la liberté conditionnelle… M.V. Oui, ça changeait tout, ce n’était plus l’administration pénitentiaire qui décidait arbitrairement de votre sort, mais des juges qui s’appuyaient sur un dossier fondé. La pénitentiaire devait seulement donner un avis. Un jour, le surveillant en chef m’a appelé dans son bureau. Il avait fait le rapport de synthèse et voulait me lire ce qu’il avait écrit : «avis de tel service : favorable ; avis de tel service : favorable ; etc.» Et en conclusion du rapport : «Si Monsieur Vaujour doit être libéré, c’est maintenant ou jamais.» Ceux de la pénitentiaire avaient réussi à dépasser les cases dans lesquelles ils m’enfermaient. Et le fait qu’ils assument leur mission de réinsertion comme ils avaient assumé leur mission de sécurité, c’était vachement important. Sinon je serais peut-être sorti : si j’étais sorti : en gardant énormément de haine et ça m’aurait empêché d’avoir les relations à la vie que je peux avoir aujourd’hui.
Recueilli par Charlotte Noblet
1. éd. Presses de la Renaissance, 2005.
Paru dans Regards n°61, avril 2009
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