La gueule de l’emploi

ON POURRAIT APPELER CELA, EN TOUT BIEN TOUT HONNEUR, LE SYNDROME HARRY ROSELMACK,

ou comment la bogossitude permet d’avoir bonne conscience auprès de la ménagère de moins de 50 ans. Patrick Poivre d’Arvor peut bien pleurnicher sur les plus belles heures de Léon Zitrone, désormais, pour être présentateur au journal télé, mieux vaut avoir une belle gueule, des abdos en tablette de chocolat (car désormais les paparazzi vous shootent sur la plage avec votre compagne, si possible du show-biz), et pour les dames un joli minois (en option tout le reste comme il faut en-dessous du décolleté). Bref, de la prestance, comme on dit pudiquement dans les conférences de rédaction. Des critères d’autant plus incontournables quand on est noir ou d’une minorité visible, comme on dit honteusement dans les palais de la République (ou Rama Yade et Rachida Dati passaient si bien auprès des députés UMP le temps d’un clin d’œil postcolonial à la Michel Sardou). Il ne s’agit pas de juger les qualités journalistiques des personnes concernées, mais on ne peut pas nier que leur vie privée intéresse autant que leur travail devant la caméra (arrêtons l’hypocrisie, qui veut savoir avec qui sort Arlette Chabot?). Claire Chazal avait ouvert la voie ou plutôt baissé la garde éthique. Les hommes restèrent un temps un peu épargnés. L’égalité se joua ici à rebours. Sur les chaînes d’info, BFM détonne un peu (faute de moyens?), ou les grands réseaux hertziens se sont lancés dans l’élevage sous serre TNT de leurs jeunes pousses prometteuses, le concours de beauté est permanent, une sorte de Miss TV et de Mister Audimat. Le pire, c’est qu’en plus, on segmente. Les beautés «exotiques» pour le politiquement correct sur M6, et Erika Moulet sur LCI en icône pop gothique (enfin raisonnable, celle dont la principale valeur ajoutée tient dans sa frange), pour rassurer la province bourgeoise dont les filles écoutent Tokyo Hotel. L’équipe de France de foot doit ressembler au pays, par contre le petit monde de l’info télévisuel préfère coller à celui de la mode et de la hype (pas franchement toujours une réussite). Dur dans ces conditions pour des personnalités pourtant talentueuses comme Aline (un des piliers de Radio Nova) de percer au-delà du rôle de chroniqueuse occasionnelle comme dans «Questions de générations» sur France 4. La diversité a ses limites : le machisme et le corporatisme.

Résultat, les «formats» atypiques se sont réfugiés dans le divertissement, autrefois royaume de la lissitude physique et du bimboland (résistent cependant des petits hameaux misogynes à l’instar de «La Roue de la fortune» et son culte de la blonde à forte poitrine). Le succès et la popularité de la souvent agaçante Valérie Damidot n’est peut-être pas tout à fait étranger à ce front renversé de la représentation sociale, ou weight watchers s’est substitué à big brother. La beauté n’est que dans l’œil de ses admirateurs, comme disent tous les directeurs de casting qui savent admirer. M.

Paru dans Regards N°60, mars 2009

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