Cinq jours après avoir accouché par césarienne, Rachida Dati décide de reprendre ses activités. Controverses s’ensuivent et un débat à mettre à jour : comment se débrouiller si l’on est femme dans un monde où le costume d’élu, de ministre ou de chef d’entreprise reste bien taillé pour les hommes?
En 1992, Ségolène Royal avait invité les caméras à populariser son séjour à la maternité alors qu’elle était ministre, manière de dire qu’il est possible voire facile d’occuper de hautes fonctions et d’avoir un enfant. En 2008, Sarah Palin a repris son poste de gouverneur de l’Alaska quatre jours après la naissance de son cinquième enfant. Cette année, c’est Rachida Dati qui, cinq jours après une césarienne, décide de reprendre ses activités de ministre de la Justice. La polémique engendrée a eu le mérite de mettre sur la place publique une bonne question : comment les femmes peuvent-elles exercer le «pouvoir» à «égalité» avec les hommes? A lire les nombreux commentaires sur le choix de Rachida Dati, ce n’est pas gagné… Pour Bernadette Chirac, «c’est sa vie privée» . La femme d’affaire Sophie de Menton aimerait plutôt qu «elle assume sa condition de femme» . La ministre Valérie Pécresse a perçu un acte de liberté et de courage. La féministe Florence Montereynaud constate plutôt que «la ministre reproduit l’exploit monstrueux des ouvrières des années 1920» . Courage ou traitrise? L’affaire a mis au jour les injonctions contradictoires adressées aux femmes qui occupent des postes à hautes responsabilités et historiquement dévolus aux hommes. Elle révèle les impensés ou mal-pensés de l’inclusion des femmes en politique.
ENFANT OU «CARRIÈRE»?
Aujourd’hui, l’alternative, c’est soit de prendre le temps nécessaire pour vivre le bouleversement qu’engendre un accouchement, bouleversement physique et psychologique ; soit d’assurer sa «carrière» et de faire face aux responsabilités liées à sa fonction, comme l’aurait fait un homme (qui n’accouche donc pas), sans discontinuité. «Bonne mère» ou «bonne ministre» , il faut choisir : même si les deux expressions n’ont pas beaucoup de sens. Tenir les deux bouts est une équation impossible dans un monde masculin, façonné par et pour les hommes, où les enfants n’ont pas leur place et où les femmes sont encore largement minoritaires. Dans ce contexte, Rachida Dati a fait le choix de la carrière. Un article consacré à la polémique française dans le journal londonien The Observer notait que «loin d’être un exemple de dynamisme, ce comportement n’est que le reflet de sa peur, de son manque de confiance en elle» . La pression exercée par Nicolas Sarkozy, qui a décidé de lancer juste à ce moment-là une réforme d’importance, la suppression des juges d’instruction, n’est sans doute pas pour rien dans la décision de Dati. Faut-il le lui reprocher, comme l’ont fait certaines voix féministes? Mais comment faire la leçon à une femme sur laquelle pèsent les modèles imposés et l’histoire patriarcale? Même s’il est vrai qu’une femme publique contribue de fait à façonner nos imaginaires et donc le réel, ce qui représente une responsabilité…
L’ARNAQUE DU LIBRE CHOIX
Le choix de la ministre dit en substance à toutes les femmes : «On peut faire un enfant et reprendre tout de suite son boulot. » Elle l’a fait, c’est donc possible. Des employeurs ne manqueront pas de le souligner. Pire, les femmes qui ont peur du fameux plafond de verre, c’est-à-dire du plafonnement de leur carrière au moment de l’arrivée d’enfant(s), peuvent rêver d’être cette superwoman. Aujourd’hui, le droit français ne le permet pas puisque le congé de maternité est obligatoire, ce qui est une protection pour toutes les femmes. En la matière, le discours sur le libre-choix, notamment entendu dans le discours de la droite à ce sujet, est une arnaque pour nos droits et libertés. Si le congé de maternité était optionnel, cela susciterait de nouvelles concurrences entre les femmes. Et les chefs d’entreprise en profiteraient pour exercer une pression. Nos droits fondent nos libertés, et tant mieux si les femmes qui pètent la forme cinq jours après avoir accouché en profitent !
STATUT DE L’ÉLU-E
Pour les fonctions politiques, le statut de l’élu-e restant introuvable, les femmes ne peuvent pas compter sur le congé formel de maternité. Si la loi sur la parité n’a pas porté tous ses fruits, c’est aussi parce que les conditions d’exercice des fonctions et mandats sont restés inchangés. Notre société n’a pas accompagné le bouleversement lié à la remise en cause de la répartition ancestrale et hiérarchique des rôles : sphère privée et reproductive pour les femmes, sphère publique et productive pour les hommes. La problématique du congé de maternité est nouvelle, puisque les hommes qui nous gouvernent depuis des siècles non seulement ne connaissent pas l’accouchement mais ont laissé aux femmes le temps domestique et parental. Un statut de l’élu-e est indispensable, au sein duquel le droit à un congé de maternité et de paternité devrait figurer. Il faut aussi repenser notre organisation sociale : un nouveau partage des temps de la vie : professionnel, familial, citoyen, loisirs : est nécessaire. Une refonte des politiques familiales et la réduction du temps de travail salarié constituent des leviers. En attendant, le costume d’élu ou de ministre reste taillé pour les hommes. La tenue de Rachida Dati, toujours ultraféminine : robe sexy, maquillage appuyé, talons hauts, même au sortir de la maternité : est troublante. Sa posture et ses tenues frappent plus que les tailleurs classiques et gris : masculins? : de Simone Veil ou Michèle Alliot-Marie. Est-ce une manière pour Dati de rassurer les hommes « Ne vous inquiétez pas, je suis bien une femme »)? En tout cas, on perçoit plus chez elle la féminité, au sens des attributs dévolus à un genre, ce qui détonne dans un univers masculin. On pourrait donc voir dans cette mise en scène outrancière de l’identité sexuée un comportement plus subversif, au sens où Judith Butler l’entend, c’est-à-dire une forme parodique de la féminité qui, telle une performance répétée dans un univers de corps masculins, finit par troubler le genre… politique. C.A.
Paru dans Regards n°59, février 2009
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